dimanche 29 mai 2005

DE COCOS KEELING À GALLE AU SRI LANKA



DE COCOS KEELING

 À GALLE AU SRI LANKA




Cet article commence à COCOS KEELING Island, Australie
Le 25 mai 2005
Mes coéquipiers sont 
Norm†Gilbert GAMBARDELLA

Drapeau animé des Îles Cocos par Pascal Gross 


La vue, du bateau, est paradisiaque. La chaleur infernale est amplifiée par l’absence de vent, empêché par l’épais rideau de cocotiers. La douane contactée par VHF me donne rendez-vous pour le lendemain à 8 heures. Nous sommes condamnés à rester sur le bateau. C’est la règle. La règle n’interdit pas de prendre un bain et même de s’équiper pour piquer quelques poissons. L’eau est hyper claire et hyper chaude. Même les poissons sont en sueur. 


... en compagnie de cinq requins
(Photo non contractuelle)

Ils se planquent sous les coraux comme des Mexicains à l’heure de la sieste. 

Je pique un perroquet, puis un deuxième. Un requin et un deuxième apparaissent. Bientôt je nage en compagnie de cinq requins nonchalants de tailles et d’espèces variées. 


Un magnifique voilier est mouillé sur tribord avant. Le couple qui le skippe vient de leur annexe tailler une bavette mais refuse de monter à bord, règles douanières obligent. Ils nous apprennent que la poste, Internet et le supermarché sont à WEST ISLAND, relié à HOME ISLAND par une navette trois fois par jour. L’annexe ou la nage sont les seuls moyens d’atteindre Home Island et encore, en faisant très attention aux pâtés de coraux qui piègent le parcours.

 


Jeudi 8 heures, pas de douanier à l’horizon. L’impatience grandit sur Pamplemousse. Tout à coup, Norm s’exclame : « Mais c’est 8 heures Cocos time ! » Nous avions oublié de décaler nos montres d’une heure. Nouveau méridien oblige. Ils arrivent enfin. Une femme. Belle et jeune métisse de race indéfinissable. Un homme, pur australien, jeune, jovial, d’allure sportive. Il se met en quatre pour nous rendre service, peut-être pour se faire pardonner le retard et de nous avoir laissés poireauter pendant vingt-quatre heures. Ils acceptent de faire les opérations administratives d’entrée et de départ dans la foulée.

 

Une fois libérés, nous sautons dans l’annexe avec bidons vides d’eau, de mazout, d’essence. Cap sur Home Island. Là, hélas, on nous apprend que la poste n’ouvre que le lendemain, vendredi, à 14 heures 30. Ça paraît un gag et pourtant ! Nous faisons quelques achats dans le «supermarché» du coin. Devant, une ribambelle de quads trafiqués pour servir de camionnettes ou aménagés en autobus sont stationnés. C’est le moyen de transport favori, et exclusif.

 

 

Les habitants sont tous musulmans. Les femmes sont couvertes de la tête aux pieds. Quel confort, par cette chaleur ! L’alcool est bien sûr interdit. Les mécréants sont retranchés sur West island.

 

 

En attendant l’ouverture de la poste, on cartonne dur la saumonée avec nos voisins australiens en spectateurs. Nous les invitons à dîner. Ils arrivent avec un « château cardboard » : vin ordinaire en cubi de deux litres. Ils viennent de PERTH. Paul a installé avec difficulté "SAIL MAIL" sur FLAMME. Il promet de m’aider quand j’aurai récupéré mon Practor à la poste.


 

De retour de Home Island avec mon précieux colis, je me mets de suite à l’installer. J’appelle Paul à la rescousse. Nous nous débattons fébrilement pendant plus d’une heure sans résultat. Paul ne comprend pas pourquoi ça ne marche pas. « Qu’à cela ne tienne, demain mon beau-fils m'arrive par le ferry. Il est féru en informatique. Il va te le faire fonctionner en un tournemain, ton sail mail ! » m’assure-t-il. J’hésite à perdre une journée de plus mais, de toute façon, le vent est nul, donc va pour attendre. Le lendemain, le jeune prodige met le nez dans mon sac de nœuds électroniques, se bat tant qu’il peut et finalement baisse les bras lui aussi. Nous continuerons sans météo ni moyen de communication.

 

 

Il préfère 

la compagnie des dauphins...

Dimanche 29 mai. Nous faisons nos adieux à nos nouveaux amis que nous saluons avec force coups de corne de brume. Le vent est toujours à l’agonie. Malgré une multitude d’essais avec trinquette tangonnée, spi, seul le moteur est efficace.


 

Lundi 30 mai. Nouvel essai de spi, cette fois tangonné en lieu et place du génois. La préparation est si longue que Gilbert finit par s’en désintéresser. Il préfère la compagnie des dauphins qui encerclent le bateau en faisant des sauts joyeux et spectaculaires. Quand tout est paré, le vent à une saute d’humeur. Il force à 15 nœuds. Je renonce à envoyer.


 

Ciel couvert, pluvieux.

Mercredi 1er mai, vent faible. Ciel couvert, pluvieux. Il faut constamment fermer quand il pleut et ouvrir dès que la pluie cesse, pour ne pas mourir de suffocation, les nombreux hublots. Le moteur tourne depuis minuit. L’équipage est taciturne. Je me plonge dans le bouquin de Jimmy Cornell "Sur les routes du monde".  Je réalise que chaque jour sans vent réduit l’espoir d’arriver à DJIBOUTI avant la saison des cyclones. Il reste LES MALDIVES. C’est mal pavé. Un traître récif à l’affût derrière chaque vague. La route Cocos-Galle, c’est pas mieux : courant, contre-courant, zone intertropicale de convergence et ses calmes plats interminables près de l’Equateur.

 

 

On verra bien ! Plus tard. Le contact BLU avec Flamme est perdu. J’ai beau m’égosiller : " Flamme, Flamme, Flamme de Pamplemousse ! " Personne au bout des ondes. Norm m’inquiète. Il se désintéresse de plus en plus de la marche du bateau et de son environnement. Il reste des heures prostré dans le cockpit, se tenant le bras amoché (il s'est blessé pendant la traversée de Darwin à Christmas island) en regardant fixement les instruments de navigation. Il faut à cette allure encore vingt-quatre jours pour arriver dans les eaux des îles SOCOTRA. Nous aurions alors de bonnes probabilités de nous heurter à un cyclone sans refuge présentant une situation géographique et une sécurité acceptables.


 

Vendredi 3 juin, nous établissons le spi asymétrique. Tangonné, parce que plein vent arrière. Il porte bien et il est efficace. A la tombée de la nuit, nous l’affalons sans prendre de ris. De ma couchette, je sens Pamplemousse vibrer. Le vent a forci. Je m’oblige à monter voir si tout va bien. Pendant mon quart, je regarde défiler les milles avec délectation.

 

 

Samedi 4 juin, je me laisse persuader d’escaler à MALÉ aux Maldives. Après tout, il n’y a pas le feu. La vitesse est si faible que je prends un bain de mer accroché à un bout. 

... je prends un bain de mer accroché à un bout.

Gilbert s’inquiète : « Est-ce qu’au moins tu as le pavillon des Maldives ? » Je saute sur le tiroir sous la table à carte et, triomphant, je montre : « J’ai même celui du Soudan et de Djibouti ! » J’en sors un. Rien qui permet d’identifier le pays qu’il représente. Idem pour le deuxième ! Norm pas bête : " Celui des Maldives, c’est celui qui a du vert. C’est un pays musulman ! " Il s’avère que les trois ont du vert dans leur composition. Problème. Ce sont trois pays musulmans !

 

 

Ce matin comme d’habitude, quelques oiseaux planent au ras des flots. Gilbert s’inquiète, entre deux blagues et trois chansons : « Je me demande où ils nichent, pas sur la mer tout de même ? » Il ajoute " En tout cas, ils ne vont pas prendre leur petit-déjeuner à terre tous les jours ! Il leur faudrait un réacteur ! On est quand même à 1.500 km de la moindre terre ! "

 

 

Dimanche 5 juin, deux tazars se prennent à la ligne de traîne. Ils sont effilés comme des aiguillettes et ont le ventre vide. Au dîner, surprise, Norm s’exprime : il parle du Canada, de la petite ville ou il travaillait pour une compagnie américaine. Il pratiquait son métier de menuisier ; il a beaucoup apprécié cette époque de sa vie. J’entretiens au mieux la conversation. J’ai pas envie qu’il s’arrête. A défaut d’entraînement, il s’épuise vite. Avant le dessert tout est dit. Circulez, il n’y a plus rien à entendre. Il prend son quart. Une heure après, il m’appelle : " Charly, il y a un bateau ! " Une lueur sur tribord encore lointaine mais qui vient sur nous. Je mets le radar. Entre temps, Gilbert vient en renfort. Nous sommes bâbord amure. " Tu veux virer de bord ? - Oui, on sera plus manœuvrant sur l’autre bord ! " Nous faisons la manœuvre sans précipitation. Commence une longue attente qui fait monter le stress. Le cargo se rapproche. L’anxiété me gagne, comme celle de Gilbert. Je finis par perdre mon calme, voire mon sang-froid. Je reporte mon anxiété sur ce pauvre Gilbert qui fait pourtant de son mieux. Ce salaud de cargo finit par passer sur l’arrière, à courte distance. J’ai la haine contre ce cargo qui n’est en fait qu’un vulgaire thonier ou palangrier. Je regrette mon stupide et indigne emportement.

 

Jonathan 
(Photo du net)

Régulièrement, un goéland nous survole. Gilbert l’appelle tout naturellement Jonathan. Il lui parle, lui tient de longs discours, lui dit la messe. Jonathan, lui, lorgne sur les leurres à l’arrière. Je crains pour sa santé mentale. Pas celle de Jonathan, bien sûr ! Les nuits sont régulièrement perturbées par la présence de cargos. Leurs positions et routes sont difficiles à estimer et sont toujours sujettes à controverse et à une sérieuse montée d’adrénaline.

 

Nous traversons maintenant le contre-courant équatorial à 4 degrés de l’équateur. L’alizé devient de plus en plus faible, voir inexistant. Nous prévoyons une petite fête au passage de la ligne. Ce sera un baptême pour Gilbert et moi. Quant à Norm, il l’a tellement tricotée dans tous les sens, cette ligne, que l’événement le laisse froid comme un concombre.

 

 

Mardi 7 juin. Au lever, devant cette mer sans fard, plate, fade et triste comme un jour sans vin, me taraude l’envie de prendre un bain, mais la profondeur verticale et horizontale insondable, ce bleu profond pur et presque noir, l’insignifiance du voilier que je contemple à prudente courte distance engendrent une anxiété aiguë qui me jette hors de l’eau. Pamplemousse indolent gondole au gré de la plate houle. Norm s’agite : " Un jour j’allais d’AUCKLAND à PAGO PAGO aux SAMOA, j’ai rencontré un calme plat pendant cinq jours. Je n’ai pas mis le moteur ! - Il ne marchait pas ? je lui dis. " Si, il était tout neuf ! - Tu n’avais plus de mazout ? demande Gilbert. - Si, je suis arrivé avec le réservoir plein ! - Mais c’est comme si tu faisais la queue pendant des heures et que tu partais quand c’est ton tour ! " lui dit Gilbert.

 

 

... où on se douche tous les jours !
(Suis-je l'un des valeureux équipiers
ou une photo du net ?)

Mercredi 8 juin : La pétole, toujours la pétole. En pianotant sur l’ordinateur, je réalise que nous ne sommes plus qu’à 600 milles de GALLE pour 800 jusqu’à MALÉ. Je propose d’y aller. Proposition unanimement approuvée. Cap sur Galle. La vitesse ne change pas : nulle ou presque ! Moteur, lueurs de cargos la nuit ! Monotonie ! Gilbert craint la pénurie de mazout et d’eau. Il décide de faire la vaisselle à l’eau salée. Les douches sont réduites à une tous les deux jours. Norm s’étonne : " C’est la première fois que je navigue sur un voilier où on se douche tous les jours ! " Ça sonne comme un reproche. Pour ma part, je crains plus la pénurie de bouquins.  A raison d’un livre tous les deux jours, la bibliothèque du bord s’épuise.

 

 

Samedi 11 juin. Nous avons déjà couvert depuis Cocos 1.416 milles. Dans l’après-midi, le ciel s’assombrit. Une brise de nord-ouest s’établit progressivement. En aurions-nous fini de cette zone de calme plat  ? La brise se renforce à 30 nœuds dans les grains. Il faut prendre un ris et quelques tours dans le génois. Plus tard, le vent se durcit encore. C’est parti pour un deuxième ris. Pendant mon quart, il retombe à 11 nœuds. Je mets ma frontale, néglige d’enquiller le harnais et file vers l’avant pour libérer les deux ris. J’ai à peine commencé la manœuvre que le vent se renforce avec une rapidité stupéfiante. En quelques secondes, l’eau envahit le pont quand Pamplemousse pique dans la vague. Je suis trempé. Je ne renvoie qu’un seul ris et rentre dans le cockpit.


Norm impassible laisse porter pour prendre de la vitesse. Gilbert est attiré par le tintamarre. En lui se réveille le professeur. Il me passe un sévère savon pour ne pas l’avoir appelé à l’aide. Les manœuvres sont continuelles et finissent par nous épuiser. La ligne est finalement passée inaperçue. Gilbert s’est abstenu de faire la fête et de mettre les traînes de peur de l’accrocher, la ligne.

 

 

"Pample-mousson"
(Photo du net)

Dimanche 12 juin. Vent de nord-ouest de 20 nœuds, mer agitée, houle régulière, ciel couvert, sinistre. Temps typique de mousson. L’allure est maintenant un près de plus en plus serré. Nous bénissons la confortable timonerie qui nous protège des vagues agressives. Elles s’éclatent sur le franc-bord en projetant une montagne d’écume qui monte au ciel et retombe en averse sur l’arrière. La fatigue se fait sentir. Chaque mouvement est un effort. L’eau pénètre par le capot avant et celui des chiottes bâbord avant. Gilbert rebaptise le bateau "Pample-mousson" ! Il fallait le trouver !

 

 

Lundi 13 juin. Il reste 120 milles à couvrir. Demain, ce sera bon, d’arrêter le manège désenchanté.

 

 

Mardi 14 juin. Une heure du matin. Gilbert me réveille car plusieurs cargos l’inquiètent. Nous approchons du « rail » qui régit la circulation maritime à la pointe de l’île de SRI-LANKA. Ce trafic intense, venant de et vers le Sud-Est asiatique, la Chine, le Japon et l’Australie est réglementé. Il faut le traverser. Nous rencontrons d’abord le trafic venant du canal de SUEZ et du GOLFE PERSIQUE. C’est très impressionnant, et stressant.


Le radar est constellé d’échos plus ou moins importants en fonction de la taille des navires. Je pointe le plus proche pour vérifier que son azimut change et donc que nos routes ne sont pas de collision. Je monte vérifier de visu que l’écho pointé correspond à la lumière menaçante et je redescends. J’ai dû gravir et redescendre mille fois l’échelle qui mène au cockpit cette nuit-là.



GITE 

Au lever du jour, un répit en traversant le no man’s land qui sépare les deux sens du trafic. De courte durée. Avant de retrouver, plus intense que jamais, le trafic dans l’autre sens. C’est encore plus impressionnant de jour. Ces mastodontes qui apparaissent dans la lumière blafarde du levant nous rasent les moustaches. Ils se suivent à la queue leu leu, se doublent, nous ignorent.




Le ciel est toujours aussi couvert, plombé, menaçant, triste, sinistre. L’approche est longue et inconfortable. Il faut pointer à mort, au près serré, voile et moteur pour contrer dérive et courant qui nous déportent. Nous sommes fatigués. Gilbert est épuisé. Depuis minuit qu’il a pris son quart, ça fait long.

 

 

Enfin nous entrons dans le port. On s’aperçoit bien vite que la carte de détail MAXSEA est décalée. Georges, de « BORGNEFESSE » m’avait mis en garde. Les autorités du port m’autorisent après moult discussions à mouiller hors limite du port. Leur anglais est plutôt approximatif. Norm en perd le sien ! La fouille du bateau est totale et minutieuse. En partant, le chef douanier réclame de l’alcool. Je fais l’andouille. Ce m’est facile. J’ai des dispositions ! Je lui propose du thé. La tactique est payante, il abandonne. L’agent, obligatoire, monte à bord et nous conduit au wharf. Adieu marina confortable et beau yacht club. On nous fait amarrer bord à bord d’un vieux thonier crasseux et vermoulu. Nous sommes le seul voilier visiteur.




PORT DE GALLE
(Photo du net)

 

Le wharf est dépourvu d’eau et d’électricité. Il faut pourtant cracher 200 dollars US pour être accueilli aussi inconfortablement.

 

 




En ville, il semble que la circulation se fasse à gauche, mais surtout en zigzag et à grand renfort du klaxon. Les tuk-tuk sont innombrables et se faufilent partout, le nôtre en particulier. Nous étions peut-être plus en sécurité au milieu des tankers. Dans la ville bruyante, nous remarquons de nombreux bâtiments massacrés comme après un bombardement ou un séisme. « C’est le tsunami ! » nous déclare notre brave Didi, qui nous guide dans son tuk-tuk dernier cri. Le raz -de-marée a fait à Galle 5.000 victimes et 40.000 dans tout le Sri-Lanka.

 

 

C’est l’heure de dîner. Je demande à Didi de nous dégoter un petit restaurant sympa. Il nous mène dans la zone des grands hôtels. Je dois me fâcher pour qu’il nous abandonne près d’un infâme boui-boui où nous allons pouvoir goûter à la cuisine locale. Didi désapprouve. Le serveur est étonné, les clients ébahis et Norm coincé. Nous avions oublié qu’il ne lui convenait pas de manger dans un restaurant normal, qui plus est dans ce type de bouge. Il ne touche pas même au verre d’eau que la madelon locale lui dépose. Affamés, Gilbert et moi, nous jetons sur les mets. Excellents, mais c’est du feu. Hyper pimenté. Nous terminons les joues dégoulinantes de larmes mais l'assiette léchée.

 

 

Mercredi 15 juin. Didi nous attend patiemment au portail du port, où il faut montrer passeport et passe à des hommes en armes. Nous faisons des achats divers et découvrons la ville sous la conduite de Didi et de son tuk-tuk. Il nous attend patiemment à chaque escale. Je finis par être excédé de ce fil à la patte. Je propose aux deux autres de nous en débarrasser. Je lui explique. Il me regarde sans comprendre, avec des yeux de chien battu se demandant quelle faute il a pu commettre.


 

===OOO===




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire