vendredi 10 décembre 2004

TEMPÊTE DANS UN VERRE D'EAU par Sylvia CHACHAY



TEMPÊTE DANS UN VERRE D'EAU

Par Sylvia CHACHAI


 Au fil des mutations, nous avons toujours essayé de passer nos loisirs sur l’eau, avec un Tabur dans une carrière au sud de Melun, à bord d’une Caragogne sur le bassin de Thau, en passant par le Corsaire, jusqu’au Challenger dans le lagon de Nouvelle Calédonie. 

Une Caragogne(Photo du net)

A cette époque j’avais déniché un petit livre écrit par un certain Charles Deschamps, où il décrivait sa traversée Nouméa Brisbane en Challenger, « La peur en prime » ! J’étais impressionnée, moi, pour qui la traversée vers l’Ile des Pins était déjà une sacrée expédition avec la peur en prime !

J’étais impressionnée, moi, pour qui la traversée vers l’Ile des Pins était déjà une sacrée expédition avec la peur en prime !


Puis vint le temps de la retraite et le désir de la passer sur l’eau. Nous avons rôdé sur le Port à Noumea, visité des Marinas en Australie et en Nouvelle Zélande, consulté Internet et des Revues nautiques – et puis nous avons rencontré Pamplemousse. Il nous a plu tout de suite, avec sa belle ligne, sa solide construction en acier, et son intérieur très convivial et confortable. Il n’y avait que son nom qui nous inquiétait : Pamplemousse, un fruit à pépin », disait Philippe. « Oui, mais juteux et plein de vitamines ! » ajoutais-je.

Le temps de faire les formalités et de laisser à Maclou et à Marc le loisir de déménager, nous avons pu chanter sur un air de Pierre Perret : « Le Lieutenant-Colonel Chachay est devenu jeune retraité l’ancre qu’il a porté longtemps sur ses boutons et maintenant` au fond d’une baie sur sable blanc. Prenez sa nouvelle adresse il vit à bord de Pamplemousse avec son épouse.... »» NOUS AVONS ENFIN TROUVE UN VOILIER ET MÊME UNE PLACE AU PORT !!! NOUS SERIONS HEUREUX DE VOUS MONTRER NOTRE PIED-A-MER LORS D’UN APERO A BORD..... »

Le 1er août 1993 nous avons invité tous ceux qui, patiemment, avaient participé à notre préoccupation principale : trouver un bateau. Nous ne nous doutions pas que le dessin humoristique, découpé dans une pub pour hélices d’étrave, allait correspondre à notre réalité.

Quel stress pour rentrer au port, ou au quai et sans catway. Combien de fois nous nous retrouvions la quille emmêlée dans les aussières des voisins, ne pouvant plus ni avancer ni reculer jusqu’à ce que le maître du port vînt nous aider avec sa « pilotine ». Jusqu’à maintenant nous avions des bateaux dont on pouvait casser l’erre à bout de bras ou de gaffe. Les 18 tonnes de Pamplemousse s’y refusaient ! Parfois, quand les alizés étaient trop fort, nous rentrions en marche avant, quitte à se lever à 5 h le lendemain pour aller faire demi-tour avant que le vent ne se lève.

Et puis, petit à petit le capitaine a fini par apprivoiser Pamplemousse – et les bateaux voisin n’avaient plus que le coucher du soleil comme spectacle.

Toussaint 1994 : un grand jour. Le caractère intrépide de mon mari me pousse dans une nouvelle aventure. Moi, marin d’eau douce, habitué à faire du bateau sur les lacs suisses, j’avais fini par m’habituer aux dimensions de Pamplemousse. Il est vrai qu’avec ses 18 tonnes, je ne pouvais plus freiner son erre avec la gaffe ou le pied, comme j’avais l’habitude de le faire. Mais d’un autre côté, j’ai vite pris goût à la hauteur sous barreau et au confort, espace, frigo, machine à laver et eau douce à profusion.

Les ronds enchanteurs dans l’eau du lagon de Nouvelle-Calédonie et les semaines « camping sur l’eau » devant les îlots ou dans la magnifique Baie de Prony, du temps ou elle était encore intacte, tout cela ne suffisait plus à mon mari : il fallait aller plus loin. Et ce jour de Toussaint 1994 nous nous apprêtions à découvrir... les îles Loyautés. Vous rendez-vous compte ! Cela signifiait pour moi toute une nuit en pleine mer !


La baie de Prony(Photo du net)


 Un heureux (pour moi) concours de circonstances nous avait dotés d’un équipier expérimenté, ce qui diminuait un peu mon appréhension. Première étape : Baie de Prony où nous retrouvions La Cigale, un bateau ami. Le lendemain nous passions le Canal de la Havannah, dont le léger (?) mascaret chamboulait mes provisions dans la cuisine. Heureusement que l’embouchure de Yaté, bien que sous la pluie, permettait de remettre un peu d’ordre dans ma cambuse tout comme dans mon estomac. Le soir, je recopiais dans mon livre de bord personnel cette définition : « Sailing, l.n. : the fine art of getting wet and becoming ill while slowly going nowhere at great expense »

 Lifou, baie de Jokin

(Photo du net)

Les vingt heures de traversée, grâce à un alizé modéré, se sont passées beaucoup mieux que je ne craignais, et l’arrivée dans la Baie de Doking compensait toutes mes peurs. Nous mouillions dans 5 m d’eau translucide, parsemée de « patates », ces blocs de corail autour desquels évoluent des multitudes de poissons. On se serait cru dans un aquarium.


Il y avait effervescence sur la côte. Les caméras d’Ushuaïa filmaient la quadruple championne de haut vol, Julie Davaux, en train de plonger du haut d’une falaise. Tous les enfants des environs étaient venus assister à l’évènement. Luc, le capitaine de La Cigale, et Philippe avaient mis les annexes à l’eau et promenaient les joyeux gamins qui chantaient à tue-tête.

La grande chefferie de Saint-Joseph
(Photo du net)

Ouvea. Nous entrons dans le lagon par un fort vent de S-E., mais l’eau turquoise était plate, à l’abri de la bande de sable blanc hérissée de cocotiers. Pamplemousse avançait comme un coursier, et moi, j’avais l’impression de naviguer sur une carte postale. Nous avions prévu de pousser jusqu’à Beautemps-Beaupré, mais avant, il fallait aller à St. Joseph, faire la coutume au Chef et demander sa permission. 


De Beautemps-Beaupré, je garde le souvenir d’une eau limpide, d’une plage de sable blanc à l’abri du vent toujours fort, et d’une grande barre gris foncé à l’horizon. « Ce n’est pas un vent d’alizé» dit Jean-Louis et il mit la BLU en marche. C’était l’heure de la météo marine. Et là, je ne croyais pas mes oreilles : on annonçait l’approche d’un cyclone. Pourtant, nous n’étions encore qu’en novembre. Mais peu importe, il fallait quitter les lieux et chercher un abri, car notre mouillage romantique sur fond de sable au milieu d’un dédale de blocs de corail devenait piège mortel en cas de tempête. Les hommes calculaient que nous avions tout notre temps, et que nous ne partirions que l’après-midi, car il ne servait à rien d’arriver en pleine nuit devant la passe de Touho.

Le Mékoua pêché par Luc

(Photo non contractuelle)

Rien, même pas un cyclone, ne pouvait gâter l’appétit de ces vieux marins, et nous avons fait un festin avec le Mékoua pêché par Luc. Petite sieste et préparation du bateau : prises de ris en place, placards verrouillés, rien qui traîne ni sur le pont ni à l’intérieur. Jean-Louis inspectait le matériel de sécurité, défaisait les nœuds superflus sur la bouée de sauvetage et distribuait à chacun de la Dramamine, alors que le ciel s’assombrissait de plus en plus.

Vers 15h nous quittions notre mouillage. Le spectacle, malgré mon appréhension, était grandiose : La mer avait perdu son bleu et reflétait le gris du ciel, tandis que le soleil toujours présent « phosphorisait » l’écume des vagues d’étrave et la mousse blanche des déferlantes.
Une casserole mal calée « tintamarrait » et je descendais dans le carré pour la fixer, quand j’entendis le cri « Homme à la mer » ! La première idée qui me traversait l’esprit, fut : « c’est pas possible, c’est une plaisanterie » - aussitôt remplacée par la pensée : « jamais Jean-Louis ne plaisanterait avec cela » J’ai sorti la tête par la descente, et à partir de ce moment là, je fonctionnais comme un robot et j’effectuais les ordres sans réfléchir ni comprendre, faisant entièrement confiance à l’expérience de Jean-Louis. « Avertis La Cigale, note la position, ramasse l’écoute qui traîne dans l’eau, lance le moteur, ne perds pas Philippe de vue, jette-lui ce bout » Je n’ai jamais été très douée pour le lancer, et dans l’effort désespéré de vouloir sauver mon mari, j’ai failli passer par-dessus bord, moi aussi. Notre skipper par intérim a juste eu le temps de m’attraper par le ciré tandis que Philippe attrapé le bout. Nous avons pu le hisser sur la jupe...une demi-heure plus tard, il faisait nuit noire. Je m’étais réfugiée sous la table du carré, à l’abri des objets volants et des bottes de mes deux navigateurs.


L’estomac au bord des lèvres, je me demandais ce que je foutais sur cette galère. Dans la lumière rouge de la table à carte j’apercevais les allers et venues de l’homme de quart, j’entendais la mer cogner contre la coque, des tonnes d’eau s’abattre sur le pont, et des bribes de liaisons radio avec La Cigale. Quelqu’un parlait même de « mer maniable »......



La baie et la pointe de Touho
(Photo du net)

 Avec le lever du jour, Pamplemousse se stabilisait tout d’un coup. Nous étions dans la passe. Un peu plus tard, nous jetions l’ancre devant Touho, et j’étais toute revigorée. Jamais petit-déjeuner me m’avait semblé plus goûteux, malgré le pain rassis, et les souvenirs des dernières heures m’apparaissaient dans un nimbe romantique. En attendant que le cyclone, devenu tempête tropicale, passe, je dessinais sur des bouts de voile déchirée mes cartes de vœux, et j’écrivais des récits enthousiastes sur mes aventures au bout du monde.....


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