vendredi 5 janvier 2007

DOUCE TURQUIE






DOUCE TURQUIE



Cet article commence à FINIKE, Turquie
Le 25 mai 2006
Mes coéquipiers sont Christian DESCHAMPS, puis Karine et Franck DESCHAMPS, puis Edmée mon épouse

Jeudi 25 mai 20 heures trente, nous entrons dans la marina de Finike. Nous avons parcouru depuis Alexandrie 361 milles en deux jours et 12 heures de près bon plein. A part une zone de brouillard intense à couper au sabre d’abattis, aucun problème.


La Turquie : changement d’ambiance, de style. Accueil polissé, souriant. 


Un zodiac nous guide vers un emplacement provisoire. Gentillesse, efficacité, sourire omniprésent. Autorisation de débarquer bien que nous soyons encore sous pavillon de quarantaine. C'est exemplaire, pour ceux qui fusillent ce pays, certainement sans y avoir jamais mis les pieds. Le lendemain après-midi, Pampan est sur le terre-plein, calé à la mode turque, avec des rondins de bois. Impressionnant!



Une bonne cinquantaine de voiliers nous tiennent compagnie, attendant qui une nouvelle garde-robe et son nouveau haubanage, qui un emplâtre au chalumeau, qui une intervention chirurgicale sur le moteur. Pour nous, les opérations prendront quinze jours à plein temps et plein de Yéni Turquish Liras.


Jusqu’à 14 heures...

... de peine par jour.

Jusqu’à 14 heures de peine par jour pour redonner une nouvelle fraîcheur à notre Rossinante malmenée par un demi tour du monde et une longue escale au SRI-LANKA, qui lui a laissé des traces disgracieuses sur le flanc. La liste de travaux est impressionnante. Christian menace de contacter son syndicat. Il dit que c'en est Finike de ses vacances. Ça n’empêche qu’il se fait le plein de copains, sauf le chef du chantier qu’il malmène dur pour accélérer les travaux. Nous faisons connaissance avec la wifi. Internet gratis à bord. Christian en fait une utilisation ab-u-si-ve.

Samedi 30 mai 13 heures, nous dépassons l’appontement de la marina. Cap sur IZMIR anciennement SMYRNE. Le MELTEM souffle modérément, toujours à peu près dans l’axe. Né dans les CARPATES, c’est un vent capricieux au possible ; il lui arrive de prendre crise et s’énerver quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit. Il pique alors une fièvre jusqu’à 30/35 nœuds sans préavis.

Sur le parcours s’aventurent plus de voiliers que de poissons à la ligne de traîne. La côte ou les îles en vue fourmillent de petites baies bien abritées ou de petits ports de pêche généralement flanqués d’une marina. Dès la nuit tombée, plus une seule voile à l’horizon. Chacun a regagné son mouillage ou son ponton bien à l’abri, et que souffle le Meltem ! Rares sont les feux de position sous la pâle lueur du quart de lune.


Le lundi 12 juin, escale à MARMARIS. La marina est splendide. Cinq étoiles, toutes commodités, wifi y compris. Nous prenons le DOLMUCH. C’est l’ancien « babycar » de chez nous. Il a souvent le cul qui s’affaisse à force de surcharges. La ville est à une bonne dizaine de kilomètres. Pas question d’enfourcher les vélos. Le parcours est bien trop vallonné pour nos mollets. Escapade agréable.


Le passage de nuit entre KOS et la grande terre n’est pas une partie de plaisir malgré l’éclairage spectaculaire en feu d’artifice des agglomérations qui bordent cette frontière marine entre Grèce et Turquie. Difficile de s’abîmer dans la contemplation du paysage tant il faut réserver son attention à identifier phares de navigation et feux de navires qui croisent sans arrêt dans cet étroit couloir. Le vent de face oblige à d’incessants virements de bord. La fin des quarts de deux heures est dûment appréciée. La couchette nous procure plus de félicité que l’environnante beauté.


Pamplemousse entre
dans la baie d'IZMIR

Nous arrivons dans la gigantesque baie d’IZMIR au matin du 14 juin. La marina est décevante. La troisième ville de Turquie mériterait mieux. Il faut dénicher un mouillage forain bien abrité et louer une voiture car, bien évidement, il n’est pas permis de s’amarrer dans le port. L’investigation est brève. L’affaire est réglée dans la foulée. Il n’y a pas grand choix de mouillages sinon à une dizaine de milles du centre-ville. Les vélos sont débarqués. Nous les enfourchons pour débusquer à travers la ville le «Rent a car» assez doux pour ma bourse. 


La marina est décevante.

Christian prend la voiture, moi le bateau. En arrivant dans la baie, le soleil déclinant me gène terriblement pour éviter les filets de pêche qui flottent un peu partout. Je slalome au mieux pour finalement en prendre un dans le gouvernail. Pamplemousse joue les chalutiers et finit par s’immobiliser. J’affale les voiles et joue sans succès de la gaffe pour me débarrasser du traquenard à poisson. La mer n’est pas à température rêvée à faire plonger un vieux caldoche frileux. Jamais dans une eau au-dessous de 28°, c’est un principe. Je me décide pourtant à contrecœur à m’y mettre. Mais deux pêcheurs arrivent dans leurs embarcations colorées, typiques du coin, arborant le pavillon rouge à croissant de lune. 


Je me fonds en excuses. Pour autant, ils ne sont pas fâchés. Ils ne parlent pas un mot d’anglais ou si peu. Avant que j’aie le temps de m’équiper, un des pêcheurs sort un couteau et… tranche le filet. Ils me font un long discours en turc avec force gestes auxquels je ne comprends pas le moindre mot. Je leur donne les deux paquets de cigarettes en fin de stock. Ils sont aux anges et repartent en faisant de grands gestes d’amitié.


Mon fils Franck et sa femme Karine arrivent à ANTALYA. Nous les accueillons à l’aéroport après un trajet de près de 600 kilomètres et une erreur de terminal qui nous fait attendre chacun dans une aile de l’aéroport à une heure où il fait bon être au lit. Nous visitons ANTALYA et ses environs. OLYMPOS et ses flammes éruptives. Le site naturel de PAMUKALE, inscrit au patrimoine de l’humanité.


Bibliothèque de CELSUS
 

APHRODISIAS et ses ruines magnifiques, EPHESE, le site du temple d’ARTEMIS, autre merveille du monde antique dont il ne reste rien, comme Brest après le bombardement, la bibliothèque de CELSUS et le théâtre immense, majestueux.




Théâtre d’Éphèse 

Pour Christian, c’est l’heure du retour sur le Caillou. Nous le déposons à l’aéroport d’Izmir où un vol le conduira à ISTANBUL. Il y restera quelques jours puis s’envolera à nouveau pour MUNICH, PARIS, OSAKA, enfin NOUMEA. J’ai forte peine à le voir partir. Il est d’une telle efficacité en électronique, mécanique, photo, nautisme et j’en passe. Il aura mérité l’année prochaine une croisière plus cool. Il s’est comme Michel tapé le côté le moins agréable, la remontée de la mer Rouge, puis la quinzaine de travaux forcés à FINIKE et enfin la remontée sur IZMIR, pas pénible mais par trop sur les chapeaux de roues. 


Les 2 frères et le papa, et Karine.

Après une visite détaillée du souk d’Izmir, nous échangeons la voiture pour le dolmuch. Il nous dépose au terminus, bien loin du bateau. En fait, on a beau ouvrir de gros callots et regarder dans tous les sens, on est complètement perdus. Les passagers qui vont et viennent sentent notre désarroi et veulent nous aider. Les gestes et la bonne volonté sont insuffisants. Barrage infranchissable de la langue. L’un d’eux à soudain une idée géniale.


Il pianote un numéro sur son mobile, baragouine une seconde en turc - évidemment, pas en chinois - et me tend l’appareil. Mon interlocuteur speaks English. Que c’est bon d’entendre la langue de Shakespeare, j’en respire. J’explique notre problème, je rends l’appareil à son proprio. Rebaragouinage et raccrochage. Il fait signe de monter dans une voiture qui se présente. Nous voilà partis pour je ne sais où… On respire encore mieux quand on voit se dessiner la silhouette de mon brave Pamplemousse se dandinant nonchalamment au gré d'une petite brise.


Franck a préparé une poignée de liras qu’il veut donner à notre chauffeur, lequel proteste énergiquement. Pas question d’accepter la moindre monnaie, ce serait le vexer. Incroyable, pas loin de 12 kilomètres, au prix de l’essence en Turquie, la plus chère du monde certainement (3 liras = 180 cfp) c’est pousser l’hospitalité à un point étonnant.


Nous quittons par un vent soutenu le mouillage forain d’URLA pour une baie tranquille. Nous mouillons entre des parcs d’élevage de poisson, bars ou dorades probablement. Franck, pêcheur devant l’éternel s’équipe et, en annexe, va taquiner le vertébré aquatique sous toutes ses formes près des parcs. Il pense que la nourriture dispensée aux prisonniers devrait attirer les libres vagabonds. Il revient avec quelques minuscules prises. Rien à voir avec un coup de bec de canne dans le chenal de l’îlot Maître!


Le lendemain, nous contournons la presqu’île d’Izmir pour nous retrouver enfin au portant. L’ancre est jetée dans une baie déserte ou presque. Seuls des parcs d’élevage et quelques maisons sur une colline indiquent une activité humaine. Je projette de balancer quelques coups d’épervier à la tombée de la nuit, des fois qu’un banc de picots serait en divagation dans le coin ! Ce soir, la France est en compétition pour la coupe du monde de football. 

Franck et Karine, aficionados acharnés de l’équipe nationale cherchent à dénicher chez l’habitant le poste de télé qui leur permettra de suivre le match. Par gestes ils essaient de se faire comprendre auprès d’un quidam. Le quidam en question nous entraîne dans une vaste salle qui semble être un restaurant d’entreprise. Nous sommes entourés, abreuvés, restaurés, noyés de questions... en turc. Un jeune baragouine quelques mots d'anglais. Il fait l'interprète pour la salle entière qui le harcèle. Il sue à grosses gouttes. L’un d’eux revient avec un globe datant de Christophe Colomb ; on déniche le caillou, pas plus gros qu’un haricot.

Comment peut-on être calédonien ? Puis c'est la photo souvenir, l'échange d'adresses qui resteront sans suite faute de moyens de communiquer. Adieux humides. Je leur offre ce qu’il me reste de babioles souvenirs de Nouvelle-Calédonie. Nous rentrons au bateau secoués par tant de gentillesse.


Pamplemousse en marina de CESME

Nous hissons les voiles le lendemain avec, comme destination, CESME. En arrivant par un vent à tout casser, je fais des appels désespérés à la VHF. Personne ne répond. J'entre dans la marina et mouille au hasard. Le gardien ne tarde pas à venir et, gentiment, nous indique une place plus adaptée. 



Crépuscule sur CESME

CESME et une adorable petite ville où de nombreux Izmiriens ont leur maison de campagne. Les petits restaurants mignons sont légions. L’animation est permanente et fébrile. Il faut se secouer pour se croire dans un pays musulman. A part quelques personnes âgées, le voile n'est pas porté et les tenues sont coquettes, voire provocantes. 


Une nouvelle baie profonde nous accueille avec ses éternels parcs à poisson. Le MELTEM souffle en rage et en permanence à plus de 30 nœuds. Nous décidons le coup d’épervier massacreur. Dans un arroyo poisseux mais pas poissonneux, les deux filets sont jetés à qui mieux-mieux. Le résultat n’est pas fameux ; quelques poiscailles que nous mangerons plus par fierté que par gourmandise et les deux filets dans un état de crasse abominable.


ALAKATI, le paradis de la planche à voile turque nous accueille. La station balnéaire, à portée de claquettes, ne nous attire pas. On débarque les vélos pour visiter la vieille ville, typique, distante de cinq kilomètres environ. Nous n’avons que deux vélos. Franck et moi faisons pédibus à tour de rôle une course poursuite. Ça décrasse les poumons ! Près de nous est mouillé un voilier battant pavillon australien. Nous rendons une visite polie et curieuse en tant que voisins du Pacifique. Accueil chaleureux. Bavardage interminable. Ils sont de BRISBANE et habitent JINDALEE dans les quartiers ouest, pas loin de chez ma mère. J’ai bêtement paumé leur adresse.



A SIGACIK

Nouvelle étape dans une baie abritée sans intérêt, puis c’est l’arrivée à SIGACIK par un vent à décorner les… vaches marines. Je mouille hors marina et, avec le zodiac, je m’informe surtout de la façon d’aborder en douceur. Avec ce vent, une fausse manœuvre peut faire des dégâts. Le responsable, avec qui le courant passe de suite, me donne ses instructions. Instructions ou pas, la manœuvre s’avère lourde en stress et en sueur froide. La marina est très mal équipée. Pas de bitte d’amarrage, pas de marseillaise, encore moins de corps-mort fixe pour amarrer la proue. Il faut mouiller et reculer contre ce vent irritant.


Le gros balourd de Pamplemousse ne se laisse pas rentrer au carré. Il joue le taureau sauvage et rue dans le paddock. Après un quart d’heure de chaude lutte, les aussières sont à poste. Le courant est gratuit mais il faut dérouler tout ce qui peut faire office de rallonge pour faire un branchement sauvage sur l’alimentation du voisin. L’eau est à l’avenant. Pour être tranquille, j’achète un rouleau de cent mètres de tuyau plastique. L’inconvénient, c’est que tout le monde s’en sert.


SIGACIK est à soixante kilomètres environ d’Izmir, dont quarante par autoroute. Péage à 1,5 liras soit 90 cfp. Exemple à suivre. Franck et Karine repartent pour TOULOUSE en se promettant d’être de la prochaine étape. Ils se sont aussi laissé envahir par l’amabilité constante et la bonhomie naturelle des Turcs.


Douze jours de relative solitude et de travail acharné pour offrir à ma mie un abri présentable. L’impatience grandit au fil des jours malgré Nusret, le responsable de la marina qui me tient compagnie régulièrement tout en vidant la cave. Tout y passe, bière, raqui, whisky, gin. Décidément insatiable. Ces Turcs prennent bien des libertés avec leur religion et son sacro-saint interdit d’alcool ! La coupe du monde et sa finale en queue de poisson et coup de boule laisse un goût amer aux Français rameutés avec grand renfort de drapeaux tricolores au petit restaurant tenu par Nycky, une sympathique Française et son non moins sympathique mari turc, Attila, qui n’a rien d’un fléau de Dieu.


La bouteille de champagne qui devait fêter l’événement quel qu’en fût le résultat, restera tristement au frigo. Le coup de boule fit l’effet d’un tsunami sur les téléspectateurs dépités.



Ma moitié dans le souk d'ISTANBUL

Ma moitié qui en fait bien les trois quarts arrive après un rocambolesque parcours. Après avoir « oublié » son vol d’origine, elle a pu en catastrophe trouver une place sur un vol Air France et prendre à temps sa correspondance pour ISTANBUL. Ce sont les retrouvailles et la découverte, Istanbul, son souk incroyable, immense, dédalique, infini. Rapidement, le shopping ne m’amuse plus. Ils ont beau être sympa, les Turcs, et offrir le thé à chaque arrêt-boutique, j’en ai ma claque, du souk.


La mosquée bleue.

Enfin, il y a la croisière sur le BOSPHORE romantique, la MOSQUEE BLEUE magnifique, le palais de TOPKAPI éblouissant, SAINTE-SOPHIE intérieurement décevante, le MARCHE AUX EPICES hyper animé et cette foule partout, toujours et toujours aimable et souriante dans laquelle on se sent comme bec de canne dans le lagon. Un vrai bonheur.



Croisière sur le BOSPHORE

Si souvent nous avons expérimenté le sens de l’hospitalité de ce peuple incroyable, par exemple ces deux hommes d’affaires pressés, interpellés à la sortie du métro pour savoir comment prendre le dolmuch pour encore et encore un autre centre commercial, et qui se détournent de leur destination première pour nous accompagner, au milieu d’une foule pressante, jusqu’au bus adéquat. Catastrophe, le paiement se fait par badge électronique, dont nous sommes démunis. Un de nos saint-bernard sort le sien et paye. Nous voulons lui donner l’équivalent en « yéni turquish liras », pas question. Refus ferme et définitif. C’est aussi une jeune Turque, bien mignonne, délurée et cultivée, invitée par le contrôleur du funiculaire dans les couloirs de sortie duquel on s’est complètement paumé, qui nous guide jusqu’à destination. Et tant d’autres attentions et anecdotes qui rempliraient des pages.



Après une overdose pour moi de shopping, cap sur CAIRO et LOUXOR, mais pas en voilier. En avion. Le bateau, ici sera de type "Croisière sur le Nil", cinq étoiles dont au moins deux récupérées à la casse ! Il n’empêche que le personnel est aux petits soins et surtout que le spectacle ouvert par la proue du navire, les berges du Nil est incomparable. L’émotion et l’intérêt culturel offerts par les visites guidées des sites successifs, KARNAC, LOUXOR, EDFU, KOM OMBO, VALLEE DES ROIS, L'ILE ELEPHANTINE et par-dessus tout ABU SIMBEL font oublier les petits tourments occasionnés par le harcèlement de ce peuple pour qui le touriste est une pompe à dollars qu’il faut actionner sans remise de peine.

 

CROISIÈRE SUR LE NIL

Retour sur LE CAIRE où notre guide continue pas tout à fait gracieusement sur sa lancée mais il est tellement sympathique et surtout il possède son sujet sur le bout des doigts. C’est le musée, d’une richesse incomparable mais tristement fouillis et poussiéreux, l’inévitable SOUK grouillant, la CITADELLE, dans laquelle on peut admirer, façon de dire, l’horrible horloge de brocante offerte par la France en échange des deux obélisques de LOUXOR dont l’un trône au beau milieu de la place de la CONCORDE (considérant la difficulté causée par le transport du premier, le deuxième est resté en place), enfin la ville elle-même, bruyante de son cortège de klaxons. Inondée de poussière, de saleté. Mais cette mégapole énorme s’offre nue et désirable avec ses travers et ses défauts, sa beauté exotique presque sauvage, et bien insensible serait celui qui n’y succomberait pas.

Re le souk d'Istanbul !

Retour vers une civilisation plus douce : ISTANBUL, IZMIR et la marina de SIGACIK avec Pamplemousse qui nous attend sagement. Divagation interminablement épuisante dans le souk ; tant qu’il y aura des souks, il faudra se les faire ! Un dernier repas chez Nycky et Attila, flanqués du fidèle Nusret, au cours duquel la bouteille de champagne rescapée de la coupe du monde masque la mélancolie de nos adieux. Nous quittons tristement la marina accompagnés de grands signes d’au revoir de Nusret resté sur la jetée. Les reverrons-nous un jour ? Probablement pas ! Ces déchirements sont les moments terribles où la force du sentiment le dispute à la fugacité de telles rencontres. Comme la vie, il faut bien se résoudre à ce qu’elles ne soient que fulgurances.


Dans un silence pesant, la marina et Sigacik disparaissent dans le sillage. Une brise légère berce mollement les voiles. Edmée n’a pas pris son cachet contre la nausée marine. Inutile, bien sûr. Devant, à 38 milles, KUSHADASI. Brusquement le Meltem se réveille. La petite brise montre ses muscles. Rapidement, l’anémomètre monte à 20 puis 25 nœuds. L’enfer commence pour Edmée. Trop tard pour avaler un cachet. Elle rend même le repas à venir. Très bon pour la ligne ! L’arrivée de nuit sur KUSHADASI est féerique. 


Les lumières de la ville cachent l’entrée de la marina et son feu vert clignotant. Edmée renaît à la vue des innombrables boutiques qui l’attendent. Minutes désagréables où le doute s’insinue sournoisement quand le fond remonte de façon spectaculaire. La carte le prévoit, mais sentir si peu d’eau sous la quille fait accélérer les palpitations et serrer les fesses !


Les appels sur la VHF sont sans résultat. Dès la digue passée dans le calme des eaux du port, la pression retombe. Un zodiac nous attend et nous guide. Nous sommes au cœur de la cité, à distance de tout à vélo ou en claquettes. La marina est au top, quatre étoiles sans compter les météorites. Deux courts de tennis, une piscine, un clubhouse délirant, la plage à portée de palmes et une ribambelle de petits restaurants animés, aux fumets variés, éclairés de mille feux.



Les ruines d'EPHESE
Les journées sont frénétiques. EPHESE et la maison de Marie où la Vierge bien connue a fini ses jours sous la protection de saint Jean qui s’est acharné à la mettre à l’abri de la propagande mensongère diffusée sur les ondes par les islamistes.

Edmée fait une provision de l’eau de source vendue en petit flacon intitulé « Eau de source de la maison de la Vierge Marie » Il paraît qu’elle a des vertus médicinales extraordinaires, voire miraculeuses. Sûr que, à voir le défilé de bus remplis de touristes qui défilent et achètent, le miracle est pour les Turcs qui exploitent le filon ! A noter, blague à part, l’excellent entretien et respect dans lequel est tenu le site ainsi que la soi-disant sourate tirée du Coran qui loue les qualités de la Vierge Marie (écrit en arabe, traduit en anglais !)


Mi-sauvage mi-douce CAPPADOCE...

A nouveau PAMUKKALE, APHRODISIAS et tutti quanti. Crochet par KUSHADASI pour prendre l’avion à IZMIR pour KAYSERI, première ville de la CAPPADOCE en ANATOLIE CENTRALE. Incroyable Cappadoce. Une nature mi-sauvage mi-douce, des couleurs inégalées entre désert et plaine beauceronne. 



Habitations troglodytes.

Nous la parcourons de long en large, béats d’admiration devant ces sites extraordinaires où l’érosion dessine et sculpte des tableaux et monuments intemporels. Nous sommes fascinés, partagés entre le spectacle de la nature et l’ingéniosité humaine qui a creusé habitations troglodytes par milliers, villes souterraines dont certaines ont accueilli jusqu’à 30.000 habitants, églises creusées, sculptées et peintes à travers la montagne.


Artisanat de poupées.

C’est un bonheur divin de découvrir, avec de surcroît un réseau routier bien développé, ces sites fantastiques, ces villages pittoresques, par exemple celui spécialisé dans la fabrication de poupées folkloriques, perché au fin fond de la cambrousse. Là, surprise, deux vieilles dames vantent leurs productions dans un français impeccable et avec une gentillesse, de larges sourires et des plaisanteries qui feraient aimer l’humanité au plus sombre des misanthropes. 


Le troupeau de moutons.

Sur le chemin du retour, à la traversée d’un pauvre et typique village, nous sommes arrêtés par la transhumance d’un serpentueux troupeau de moutons conduit par un authentique berger digne de la photo du siècle. 



La marchande de pains.

Je mitraille, alors qu’une jeune dame force le passage encombré des bêlants ruminants. Elle est chargée d’une large planche de bois sur laquelle s’accumulent des pains ronds à la mode turque. Je lui demande la permission de la photographier. Elle acquiesce avec un large sourire. Edmée s’approche pour lui refiler quelques liras. Elle refuse et, par contre, lui donne un pain tout chaud en disant " yemek, yemek " : manger, manger, joignant le geste à la parole. Tant d’humanité et de générosité dans un village si pauvre. Quelle leçon !



Retour à Izmir pour réceptionner la copine Armelle qui arrive de NANTES. Shopping. Je bifurque à la piscine et les laisse shoppiner seules. Sortie boite de nuit. Elles se font belles. Comme il y a du boulot, j’ai le temps d’écluser deux bières. Il y a le choix de dancings, une rue entière en est bordée de chaque côté et à touche-touche. Promenade assourdissante pour choisir le plus adapté à notre âge… mental ! Mes deux équipières se font inviter et apprécier par ces dragueurs de Turcs. Quelle honte, je croyais les musulmans sérieux. Je vais me convertir !

Cette fois, avec deux équipières aguerries, aucune hésitation pour mettre le cap sur SAMOS. En guise de formalités, je me contente, sur le conseil d'anciens, d’affaler le pavillon turc pour le remplacer par le grec, cela bien entendu hors de vue des curieux à épaulettes et képi. Le vent est faible ; c’est plus le moteur qui nous traîne que les voiles, mais elles font joli sur la mer bleue, les montagnes vertes et la ville de SAMOS éblouissante de blancheur.


Tellement éblouissante que, tout occupé à refaire le monde avec cette bavarde d’Armelle, la digue de la marina manque à peine de nous embrasser. Panique à bord et hurlements de la patronne qui n’admet pas un tel laxisme. Mes tympans sont cassés pour la soirée. Encore heureux, d’ailleurs, car l’idée nous prend d’aller écouter un concert de musique baroque, byzantine de surcroît.


A capela et à faire des cauchemars. Un groupe de vieux popes, curés orthodoxes à la barbe blanche étouffante, modèle barbe-bleue et à la tunique noir corbeau, s’évertue à charmer un auditoire de connaisseurs. Diversion rapide et discrète avant la fin du répulsif musical, vers une sympathique taverne pour calmer la faim déclenchée par ce lugubre charivari à capela d’outre-tombe. Le vin du pays arrosant les moussakas et le pastitsio nous redonne une joie de vivre mise à mal par la séance précédente.



PATMOS

PATMOS, à une encablure de Samos. Visite de l’île en voiture de location pas plus grosse qu’un coquillage. Rencontre, au beau milieu de la chaîne centrale au détour d’une route à faire pleurer la madone, avec de biens sympathiques paysans. Paysans mais pas péquenots, érudits même, car pour connaître ou se trouve la Calédonie, vu de si loin, il faut l’être. L’alcool de raisin - à tordre les boyaux - n’est pas compté.


Tino et Nicolas ont fait la guerre, ont beaucoup souffert, mais elle leur a permis de voyager. Européens convaincus mais à des années-lumière d’un Parisien ou d’un Berlinois. Le coffre du coquillage est rempli de grappes de raisin, offert par nos hôtes qui le cultivent et le distillent. Photos-souvenirs et échange d’adresses. Internet n’a pas encore pollué ces montagnes perdues. Monastère époustouflant et musée modèle-réduit mais passionnant. On en profite pour faire le plein de mazout à un euro au lieu de un quatre-vingt-dix en Turquie.


Samedi 2 septembre, cap sur KALIMNOS, l’île aux pêcheurs d’éponges et aux argonautes. On n’a pas pu rencontrer Jason le traqueur de toison d’or, il était parti sur Argos pêcher la sardine !


Par contre, nous avons piqué des figues dans l’arrière-cour d’une église, afin qu’Edmée nous fasse un tagine. Notre larcin accompli, nous nous sommes efforcés de quitter les lieux en catimini mais el diablo s’est vengé. Il y a quelquefois entente cordiale entre les deux meneurs de jeux célestes ! En conséquence donc, le démarreur ne veut rien savoir et nous ne pouvons pas démarrer ! Un gros mécanicien grec - gros ! pour tout dire obèse - et son anglais limité à trente à l’heure, nous dépanne en un tournemain sans tournevis et pour cinquante euros. Ça paie les figues !

KOS, la dernière au programme, est encore bien différente. Touristique comme pas possible. Son aéroport est plus actif que Tontouta et Magenta réunis. Les vols charters font échanges de meutes de touristes qui se brûlent au soleil sur des plages bondées. Ils repartent heureux, la peau avachie mais fiers d’avoir « fait la Grèce ! » Toujours en modèle-réduit, la visite de l’île est édifiante. Un fort majestueux fait face à la Turquie, l’ennemi héréditaire. Il est pourtant en ruine mais sous le siège... des touristes. Omniprésence de l’armée sur les routes et dans les campements.


Il ne faut pas partir sans rendre hommage à l’arbre sous lequel Hippocrate a fait son serment relayé en breaking news par CNN. Le pauvre arbre est plus de deux fois millénaire ? Ses branches soutenues par une multitude de renforts métalliques font penser qu’il est au bout du rouleau. Mais est-ce le même ? On fait le plein de deux bidons de mazout dont l’un fuit comme une passoire, d’où nouveau sermon d’Hippocrate, non, d'hypocrite de ma mamas, qui comme chacun le sait est la femme du papas, avant de rendre en douce la belle petite voiture neuve au parfum enivrant de gasoil.



Pamplemousse coincé à KOS

Le pauvre skipper, plié en quatre par la charge des deux bidons, mal vêtu de sa barbe de huit jours et de ses claquettes bonnes pour le rechapage, passe devant notre voisin, un superbe yacht dont je tairai la nationalité, de peur de déclencher la troisième guerre mondiale, où un équipage d’élégants dandies, tous habillés de blanc à la mode des couillons… vous m’entendez, consomme champagne et fume gros cigares sur la plage arrière. Ils me regardent passer d’un air méprisant. Image désastreuse pour cette pauvre France trahie par son pavillon qui plastronne à l’arrière de Pamplemousse !



Jeudi 7 septembre à l’aube, l’ancre est relevée pour BODRUM anciennement HALICARNASSE. La chaîne est prise sous l’ancre du voisin. Acrobaties forcenées pour se débarrasser de ce maudit fardeau sous l’œil goguenard des dandies qui se contentent de commentaires inutiles. La veille, c’était un Belge acariâtre qui cherchait à se débarrasser de la nôtre, de chaîne. Il faut dire que les voiliers sont les uns sur les autres le cul tourné vers le ponton, l’ancre jetée à l’arrivée au petit bonheur la chance. Armelle et Edmée participent à la manœuvre. Edmée ne va pas tarder à être calife à la place du calife ! Nouvel échange de pavillons avant de rentrer dans les eaux turques.


Nous mouillons à deux pas 

de la magnifique citadelle. 

Nous mouillons à deux pas de la magnifique citadelle. La ville déroule de tribord à bâbord une ligne continue de boutiques, restaurants, boîtes de nuit, le tout grouillant d’une foule où les touristes ne sont pas les moins nombreux. Ils voyagent en groupes, parlent fort, s’interpellent sans vergogne. Ils sont heureux. Dès la première nuit, nous comprenons l’erreur fatale. Après le dernier chant du muezzin. Contrairement à l’Egypte, la prière est enregistrée et balancée par haut-parleurs à travers toute la ville, aucun recoin n’y échappe. Comme partout en Turquie d’ailleurs. Après ces hurlements incompréhensible, donc,  commence la musique, à peine plus mélodieuse mais avec une bonne dose de décibels en plus, des boîtes de nuit, qui foisonnent. Impossible d’y échapper, sauf à fermer toutes les issues.


Après quelques heures de résistance acharnée, nous battons en retraite et fermons tous les hublots. La délivrance vient à 5 heures du matin. Pas pour longtemps, le minaret prend la relève pour la première prière du matin. Puisqu’il est si difficile de fermer l’œil, autant profiter du spectacle. 


A 22 heures, Armelle et Edmée sont pomponnées comme les trois grâces quoiqu’un peu moins dénudées, et parées pour mettre à feu le HALICARNASSE NIGHT-CLUB. C’est la plus grande boîte de nuit d’Europe. Cinq mille places sur plusieurs niveaux. Une musique d’enfer, assourdissante, des jeux de lumières aveuglants, de jeunes danseuses à moitié nues se trémoussant sur des piédestaux. Mes yeux zappent d’un piédestal à l’autre. Belle architecture ! Après quelques rocks encombrés, écrasé par cette musique barbare, je m’avachis dans un moelleux canapé. Edmée et Armelle s’en donnent à cœur-joie. Vivement le chant du muezzin !


Armelle doit regagner sa Bretagne natale. Nous l’accompagnons à la gare routière. Ça sent la fin des vacances. Elle aura été une équipière hors pair, toujours prête à m’aider à finir une bonne bouteille ! Toujours disponible pour des causeries interminables à en oublier le cap. Welcome aboard again, Armelle. La tristesse nous gagne mais au moins elle, on sait qu’on la reverra.


Il reste à mettre Pamplemousse en hivernation. Le choix se porte sur un chantier dont l’activité principale est justement de gardienner, réparer et bichonner les voiliers qui veulent passer la mauvaise saison en Turquie. Rendez-vous est pris pour le lundi 11 septembre à 14 heures. Evidemment, le Meltem se déchaîne, 20 à 25 nœuds. Le chenal de levage du chantier est exposé en plein vent.


La manœuvre prévue est d'entrer en marche arrière. J’en suis stressé à mort rien que d’y penser. Le directeur, qui parle un français impeccable, nous envoie un zodiac. Son barreur nous hurle d'entrer en marche avant en dégréant au préalable le génois. La manœuvre n’est pas aisée quasiment seul et avec ce vent forcené.

Je m’éloigne jusqu’à 13 mètres de fond. Je balance 25 mètres de chaîne, me disant que ce ne sera pas suffisant pour arrêter complètement le bateau mais suffisant pour lui permettre de dériver travers au vent le temps de la manœuvre. Descendre la grande voile d’avant n’est pas une sinécure. J’y arrive avec l’aide précieuse et inattendue de ma petite femme qui du coup en oublie le mal de mer, bien que le bateau roule bord sur bord.


Il faut maintenant remonter le mouillage. C’est le moment - idéal - où le guindeau nous abandonne. Il faut réfléchir vite, la terre se rapproche. J’installe un crochet fixé sur un maillon de la chaîne, raccordé à un bout tourné au winch de génois et commence à remonter mètre par mètre avec ce bricolage. Edmée accrochée à l’avant a pris le coup pour replacer le crochet un peu plus bas et permettre de remonter à nouveau une petite longueur de chaîne. C’est long et la terre se rapproche. Un bateau à moteur nous hèle. Ils nous ont devinés en difficulté. Se proposent de nous aider. Un jeune homme grimpe à bord, s’installe confortablement, attrape la chaîne à deux mains et la remonte comme qui rigole. Pas étonnant : fort comme un Turc !


Lorsque nous nous présentons à nouveau, le chantier est au bord de la fermeture et nous au bord de l’épuisement. Ils sortent le bateau et nous laissent dans les sangles jusqu’au matin !


Pamplemousse est maintenant bien confortablement calé. Il attend mai 2007 pour retrouver le goût des embruns, avec autant d’impatience que son petit père. 

 

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