mardi 13 mai 2008

VOIR NAPLES ET DESCENDRE AUX ENFERS





DESCENTE AUX ENFERS A NAPLES 




Ce cauchemar commence à CASTELLAMARE DI STABIA (NAPOLI), Italie
Le 6 juin 2008
Mes coéquipiers seront (àterre) Edmée DESCHAMPS, Michel BESNIER et ÐOÀN DUY LỢI 

Les rencontres au gré des pontons, les commérages des voisins, les mises en garde de tous bords y compris bâbord ne m’ont pas dissuadé d’aborder Naples, pas pour y mourir mais pour dorloter Pamplemousse. « C’est cher ! Ils ne savent pas travailler ! Tu ne retrouveras plus que la coque vide à ton retour ! etc. » En dépit de ces prédictions de fin du monde, j’ai laissé ma monture à Castellamare di Stabia, dans cette magnifique marina en perpétuels travaux de... finition.


J’allais devoir affronter la pire épreuve de mon aventure. Petite mise en bouche à l’arrivée. Après marchandage avec le taxi. On les connaît, les taxis, de par le monde. Il faut les tenir à longueur de gaffe et ne les utiliser que contraint et forcé. Quarante-cinq euros, c’est dans mes moyens et dans l’air du temps. Le taximan, fort sympathique, le devient beaucoup moins quand il me réclame le double à l’arrivée. « Il faut payer le retour ! Il fallait prendre un taxi de Castellamare, et non de Naples ! » Fallait le savoir !



Il capo du chantier paraît efficace. Pourtant, son regard fuyant n’inspire pas la confiance. « Bison fuyant » lui est sitôt dévolu comme sobriquet de guerre. Il m’envoie une escouade pour s’enquérir en détail des travaux à diligenter. L’échange avec mon italien d’épais crachin et leur anglais de robinet, ne facilite pas le dialogue. La pro forma demandera une semaine d’étude.


Je signe pour la totale. Certains prix, comme la révision du moteur, paraissent excessifs, mais si le travail est bien fait, pourquoi pas ? Je m’en sors avec un peu plus de 6.000 euros. Je demande à ce que les travaux soient finis avant le 20 juin, pour l’arrivée d’Edmée, Michel et Lợi. « Pas de problème, le 15 tout sera terminé ! » m’assure Bison fuyant. Ce ne serait pas un exploit. Arrivé le 13 mai, ça lui laisse cinq semaines pour des travaux qu’il qualifie de négligeables. Je le crois sur parole. Ce grand chantier bien équipé paraît même surdimensionné et suréquipé pour le peu d’unités à traiter. C'est grand, il faut s’y déplacer à bicyclette et ne pas être manchot sur la pédale.


Rien à voir avec Yatlift à Bodrum, où les voiliers sont les uns sur les autres. Tous parés à faire un petit au copain d’en face le bout dehors en guise de bitte (d’abordage !)


C’est sans compter sur la désorganisation phénoménale, en vrai le manque total d’organisation. Chacun semble évoluer plus ou moins à sa guise. La nonchalance ambiante est un copié-collé du Mexicain basané. Quand, il y a quelques années, j’avais acheté, rempli et expédié un container d’artisanat de Guadalajara, j’y avais perdu des poignées de ma toison déjà aux abois. Je commence à pressentir que le reste va y passer ici plus efficacement que sous l’effet d’un désherbant.


En prévision de la mise en place du propulseur d’étrave, j’ai vidé la soute à voiles. J’en ai fait une montagne sur des palettes, sous le bateau. Tout ce matériel n’est pas protégé de la pluie, ni des larcins. J’y ajoute la coque en alu de mon annexe. On m’a promis de les stocker dans une remise adéquate. En attendant, je tape et traite la rouille dans les petits coins et les recoins. Les soudeurs arrivent avec un matériel impressionnant. Ils ressoudent le ridoir, qui avait un air penché depuis sa confrontation avec un bateau italien à Split. Ils découpent les deux entrées d’eau des toilettes, plus oxydées qu’un clou dans un bocal d’acide chlorhydrique. Nous sommes le lundi 19. Le mercredi 21, ils reviennent. Les choses sérieuses vont commencer, avec le percement de la coque pour ensuite y souder le tube qui soutiendra le propulseur d’étrave.



Doniambo

(Photo du net)


Je suis occupé à placer les feux de position sur chaque côté du doghouse. J’ai abandonné l’idée de les voir fonctionner durablement sur le balcon avant. Ils ne se verront pas de très loin mais, au moins, ça fera joli. Soudain, une épaisse fumée s’échappe du capot avant. C’est Doniambo. En pire. Je descends en catastrophe. Des flammes s’échappent du côté tribord à l’arrière de la soute à voiles. Avec un seau, un des soudeurs tente d’arrêter le feu qui menace de se propager.


Je montre l’extincteur, accroché près de l’atelier. Il s’en empare, dégoupille et appuie désespérément sur la gâchette, mais rien ne sort. Je fais signe de le mettre tête en bas. Le début d’incendie est circoncis sans douleur, mais pas sans effets. Il faut casser toutes les planches en partie consumées. Je comprends que l’espace dans la soute à voile était insuffisant pour caser le propulseur. Bien. Mais pourquoi ne pas avoir démonté ou m'avoir demandé de le faire avant d’attaquer férocement la coque ?


L’année s’écoulera sans que 

je voie la fin de mon calvaire

Vendredi 23. On m’a oublié. Je commence à soupçonner qu’à ce train d’enfer l’année s’écoulera sans que je voie la fin de mon calvaire. J’aborde - ou plutôt je coince - Bison fuyant. Reproches véhéments ! Promis juré, lundi ça va péter. J’ai déjà eu le feu, j’appréhende l’explosion ! Lundi 26. Fureur, la journée se passe sans l’ombre d’un ouvrier en action. Je biffe sur ma pro forma, une partie importante de travaux qui pourra attendre un chantier plus actif. Bison fuyant se fait coincer à nouveau. Il faut être habile et rapide : vélo contre mobylette, je ne fais pas le poids. L’échange devient plus acide. Le regard vers un horizon imaginaire : " Pas de problème, mercredi vous aurez du monde et tout sera fini dans les temps ! " Les temps bibliques, probablement.


Mercredi 28 : Toujours personne. C’est plus la moutarde qui me monte au nez, c’est le wasabi. Je rédige un courrier explosif, en anglais. Je le surveille du coin de l’œil. Lorsqu’il enfourche sa mobylette de chantier, je saute sur mon vélo et l’attrape au vol. Il refuse de prendre ma lettre prétextant que son anglais ne lui permettra pas de la comprendre. J’essaie d’en expliquer la teneur en italien. La tension monte à faire péter le couvercle du Vésuve. Il m’envoie sur les roses. Je demande par mail à mon ami Michel, équipier fidèle, encore à Nouméa, de me la traduire en italien. 


Vendredi 30. 8 heures. Bison fuyant arrive. Je saute sur mon vélo, courrier en italien à la main. Tout enjoué, Bison fuyant m’assure que l’équipe au grand complet sera à pied d’œuvre lundi et que tout sera terminé en dix jours. Quelques minutes après, j’apprends que, lundi, le chantier sera fermé  pour cause de fête nationale. 


C’est mal parti ! Chasse à courre à nouveau. Le bison est acculé au coin du bois, entre un Amel et un Jeanneau : « C’est vrai, j’avais oublié, ce sera mardi, garanti! - J’attends de voir, pour croire ! » Réponse désabusée !


Un malheur n’arrive jamais seul. Je constate ce matin l'absence de la coque en alu de l’annexe. Bizarre qu’ils aient rangé la coque et pas tout le reste du matériel. Mardi 4 juin : force est de constater que la coque à bel et bien été chouravée. L’assurance de la marina en paiera une neuve. Menuisier et électricien sont à poste, mais le soudeur est au Mexique. Ils sont, comme tout Napolitain, extrêmement sympathiques et font du bon boulot. Mais ils sont rapidement au chômage, car suspendus à la réalisation des travaux de soudure qui, en toute logique et bon sens, auraient dû être terminés bien avant.


Je m’en inquiète auprès de Bison fuyant. Il explique que le bateau devra être déplacé lundi. Le chantier n’a pas de rallonge assez longue en 380 volts pour aller jusqu’au bateau ! Trois semaines pour s’en apercevoir ! Sans commentaire ! Lundi 9 au matin, déménagement du bateau, placé cette fois près de l’atelier. 


Lorsque je reviens de ville, l’électricien est en tête de mat dans une nacelle qui joue la piste aux étoiles, pour mettre en place le nouvel anémomètre. J’ai un coup de frayeur pour mon enrouleur de mât.


Une fausse manœuvre est vite arrivée. Le soudeur est en place à 15 heures. Il travaille jusqu’à la fermeture. Demain, France-Italie en coupe d’Europe des nations. Je n’y connais pas grand chose au "calcio" mais je taquine ces braves tifosi. Je hisse les pavillons national et européen, pour faire bonne mesure en prévision d’une victoire future. Mercredi 11 au matin, c’est la cohue, la curée pour moquer "il francese !" zero a due !  le pouce abaissé en signe de mise à mort. Dans ce domaine, ils sont bons. Je me régale à me faire charrier.


De nouveau, grève générale sur Pamplemousse. Depuis lundi, je n’ai plus revu personne. Excédé, je fonce à la marina et sonne l’hallali à la direction. On m’introduit, façon de parler, auprès de la magnificente Manuella. J’explique les raisons de mon exaspération et parle du courrier resté sans effet. Elle demande à voir. Je reviens avec l’exemplaire en italien. Elle rejoint le bureau de ce qui me semble être celui du big boss. Long conciliabule. Elle appelle Bison fuyant, furieux. Échange en napolitain. Cirage complet.


Elle m’assure que tout ira bien maintenant. De retour au bateau, effectivement, le soudeur est à son poste. A 14 heures, on vient me chercher. Bison fuyant veut me voir. Il a convoqué tout son staff. Il attaque bille en tête en me reprochant le courrier. En échange, j’ai une lourde besace de reproches que je m’évertue à égrener dans un italien basique et, qui plus est, haché par la fureur. Il ne veut pas perdre la face et répond en scannant l’assistance, avec impasse sur le principal intéressé. 


Je m’avance furieux et zappe sur l’anglais : " Look at me !... look at me ! " Je hurle, répétant ma diatribe forcenée, en anglais cette fois! Un des jeunes assistants me prend doucement par les épaules et, lentement, me fait sortir de la pièce en essayant de calmer le flot de paroles dont il ne pige que dalle.


Vendredi 13. J’ai commencé, pour avancer le schmilblick, le traitement antirouille du tube du propulseur d’étrave. C’est pas compris dans le deal, mais c’est plus le moment de pinailler. J’ai compris, résigné, que le travail ne sera pas fini le 15, ni même le 20. Lundi 16, le menuisier arrive à 8 heures tapantes. Il veut remonter le moteur du propulseur, que j’avais démonté pour pouvoir traiter et peindre. Je descends pour fixer les écrous à l’intérieur du tube pendant qu’il le tient en place. Le brave « falegname » ressort de la cabine en se tenant l’épaule et le bras opposé, de toute évidence souffrant énormément. Hôpital. Huit jours d’arrêt, et arrêt du chantier sur Pamplemousse.


Mercredi 18. Même motif, même punition. Cette fois, je tente de forcer la porte au pic de la hiérarchie, le PDG de la marina. Je finis par être reçu. Il me promet qu’il ira au chantier dès demain pour régler le problème. Effectivement, il est là au saut du lit. L’entrevue n’est pas des plus cordiales. J’accepte à contrecœur de laisser la clé jusqu’à mon retour de Sicile le 3 juillet, où nous avons convenu d’aller en ferry, faute de mieux, en attendant la fin des travaux.


Je préviens « il presidente » que si, avec ces treize jours de délai supplémentaire, tout n’est pas terminé, je serai à nouveau dans son bureau pour explication des gravures. Le 20, les équipiers arrivent et sont accueillis  sur un bateau en état de siège et d’une saleté repoussante. La patronne, qui ne supporte pas un milligramme de poussière, est catastrophée devant l’ampleur du rangement et du nettoyage qui nous attendent au retour de Sicile. Le soir du 21, ferry en direction de Catania, première étape en Sicile après une nuit à bord. 


- Voir l'article LA SICILE. -



... prennent le train 

en gare de Pompei...

Le 4 juillet, Michel et Lợi prennent le train en gare de Pompei pour remonter la botte par la terre. Les remplacent Robert et Mireille Durand.

Pour finir, la facture définitive des travaux atteint des cimes vertigineuses. Plus de trois fois le prix initial du devis. J’ai le sinistre sentiment qu’ils se sont payé l’annexe en douce et en catimini. Qui plus est, au moment de régler mon mât, je réalise que le câble de l’enrouleur est rompu. Retour au chantier. Bien sûr, ils sont innocents, pourtant, la nacelle en yoyo n’y est certainement pas pour rien. Intervention pour fixer une nouvelle attache. Quelques heures de travail pour une facture de 800 euros. On m’assure que le câble a vrillé et qu’il faudra changer l’ensemble de l’enrouleur.


Hâle bas de bôme.

(Photo du net)

Arrivé à la marina di Roma, changement de décor. Le chantier m’envoie un technicien, qui travaille rapidement, efficacement, remplace l’attache en tête de mât, m’installe une nouvelle fixation pour le hâle bas de bôme, pour un peu plus de 600 euros. Je n’ai pas à changer l’enrouleur comme voulait me l’imposer le chantier de Naples Je me suis fait avoir sur toute la ligne et jusqu’à la dernière minute. En conclusion, amis navigateurs, conseillez à votre pire ennemi de faire des travaux à la Marina di Stabia, vous serez amplement vengé de l’enfer qu’il vous aura fait subir. 


Pourtant, ce séjour à Naples sera un des meilleurs souvenirs. Nous y laissons de bons amis : Nadia à l’agence de voyage, Vincenzo le loueur de voitures, la belle Manuela et tant d’autres, qui sont comme des étoiles découvertes sur des murs gris, au fil des jours.


Il s'avérera que le propulseur d'étrave fonctionnait très mal. Je l'ai fait examiner à Malte, qui a décelé qu'il était excentré et que le tube était trop gros pour ce modèle. Le chantier n'a rien pu faire pour le tube mais il a recentré l'appareil, qui fonctionne enfin correctement, à l'aide de quelques centaines d'euros supplémentaires.


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