samedi 13 novembre 2010

FAUX DÉPART ET FAUX JETONS NOVEMBRE DÉCEMBRE 2010



FAUX DÉPART ET FAUX JETONS 



Cet article commence à RABAT
le 13 novembre 2010
Mes coéquipiers sont Jean-Claude HIREL et Claude BARTOLDI, puis Thierry DEFLANDRE

13 novembre 2010
Je fais la connaissance des nouveaux proprios du Savannah, de Joël Marc. Le bateau était mouillé là depuis fort longtemps. Il y était déjà en mai quand nous avons fait notre premier passage à Rabat, c’est dire si la coque doit être mousseuse et coquillonneuse !
Jean-Claude s’inquiète, par mail et téléphone, de la position de l’antenne de la BLU. Il faut qu’elle soit éloignée du pataras. Facile à dire…

16 novembre
MARJANE (Photo du net)
Au retour de faire le plein de carburant pour le moteur humain chez MARJANE (supermarché d’une chaîne marocaine que l’on trouve partout) je constate que le " GARCIA " a mis les bouts. 



En fait, il est à la station-service. L’équipage a prévu de partir demain pour les Antilles. Occupé à fixer un thermomètre dans le cockpit, un choc me détourne de mon occupation. Je sors en catastrophe. C’est le Savannah qui, en revenant de la station-service a mal jugé le courant traversier et a accroché mon ancre. Plus de peur que de mal. Du coup, je leur offre un exemplaire de  « La  Peur en Prime » pour qu’ils apprennent tout ce qu’il ne faut pas faire pour bien naviguer. Ils ont apprécié en prétendant l'avoir lu d'une traite!



25 novembre
Ils sont arrivés, les messies, en même temps que ce grand bateau gris en aluminium qui a voulu jouer les gros bras avec la barre en voulant entrer malgré l’interdiction. Du coup, ils ont cassé la leur, de barre, et ont failli perdre le bateau désemparé, le temps de mettre en place la barre... de secours.
Jean-Claude et Claude sont là, chargés comme des mules. Un matos technique impressionnant. Et encore, me dit déçu Jean-Claude, « Il manque ce qui nous aurait été fort utile : l’AIS, collé à son code MMSI ! » On n’en mourra pas ! Il y a même le défibrillateur, qui n’a rien de mécanique mais prévu pour maintenir en vie un équipier défaillant, le temps qu’un hélicoptère vienne l’hélitreuiller ! Je serais curieux de voir une telle opération avec 40 nœuds de vent !


Claude, grand, dégingandé, a la réputation d’être peu bavard. C’est un pisse-froid. Quand il l’ouvre, sans esquisser le moindre sourire, ça claque sec et la franche rigolade suit chez les interlocuteurs assommés. Sitôt engrangé le matériel, l’équipage au complet est au travail. L’installation de l’antenne BLU pose problème. Il faut monter au mât pour changer et rallonger l’isolation de tête. Le skipper un tantinet singe-araignée est volontaire. Stop over, à la descente, sur le projecteur de mât qui ne fonctionne plus depuis la nuit des temps. Résultat, le globe frise la tête de Claude, gîté au pied de mât. L’ampoule défectueuse suit le même chemin.

La bouteille de bulles traditionnelle, made in Marocco, récompense des efforts et risques encourus. Le repas chez les spécialistes du tajine est décevant. Le tajine est étriqué au point de le classer dans la matière infinitésimale. A n’en faire qu’une bouchée. Retour au bateau. Essai BLU. Ca fonctionne au poil, au moins pour recevoir RFI. C’est le principal. Jean-Claude est un caïd.

27 novembre
Gloups !
En prévision de l’arrivée de Thierry, j’ai hissé le drapeau corse, mais la tête en bas. La journée des catastrophes ne fait que commencer. Elle se poursuit avec la pompe à eau toute belle, toute neuve, qui refuse de s’arrêter. Elle continue même avec une panne de courant. Ça vient du bateau, nous assure l’électricien de service. Changement de câble d’alimentation, rien n’y fait. Jean-Claude se penche sur le problème et sur le tableau électrique. Il parvient, après une lutte acharnée, à rétablir le courant dans 90% du bateau et surtout sur le chargeur 12 volts.

28 novembre
Jean-Claude est un génie. Pendant que nous faisons les courses à Carrefour, où l’on remplit cinq chariots à ras bord, il a réussi à faire tout fonctionner si ce n’est le compte-tours et la pompe à eau.
Les dépressions ce succèdent les unes derrière les autres. Un chapelet peu propice à la prière trainant un fort vent de plus ou moins sud. Le port est souvent fermé à cause de cette barre énorme levée par une forte houle incessante.

PORT DE RABAT (Photo du net)
30 novembre
Thierry arrive. Impossible de partir, le port est fermé.

3 décembre
Midi. Enfin, nous laissons Rabat et sa souricière de barre. Une accalmie propice à prendre le large. La barre est franchie sans difficulté. Presqu’un calme plat. Nous marchons avec génois tangoné plus le moteur. Cette voilure sur la forte insistance de Thierry. A 15 heures nous avons couvert 14 milles. En trois heures ce n’est pas le Pérou. Je le fais constater. 

C’est alors que l’on me signale que, vu les antécédents de Thierry comme commandant en second sur les cargos et sa grande connaissance de l’Atlantique, il est logique qu’il prenne le commandement du navire. Approbation générale. 


J’ai regretté après coup de ne pas avoir refusé tout net, quitte à revenir sur Rabat. Cela aurait sérieusement compliqué les relations avec les services officiels, douane, PAF, etc. L’homme de l’art est obsédé par la trinquette. Il fait hisser cette voile mal positionnée et peu propulsive. Je le fais constater, qui plus est, c’est une gêne considérable pour le génois. Personne n’écoute mes protestations. Je ne connais pas l’Atlantique. Je n’ai qu’à la fermer. Nous nous dirigeons au près serré vers le mauvais temps.

4 décembre
Le nouveau skipper est malade. Il se promène avec le seau qui lui sert à recueillir le trop plein de son estomac fragile. Ce n’est pas le mal de mer, c’est une maladie. Un genre d’indigestion chronique ! Il ne mange pratiquement pas. Il grignote. Il boit seulement, et pas de notre bon rouge qui tache, non, de l’eau plate. 


A 6 heures, empannage intempestif. Nous en profitons pour affaler la trinquette, détangonner et renvoyer le génois sur bâbord. La balise donne des signes de faiblesse du côté des batteries. Changement des batteries. Je regarde les cartes météo des différents logiciels, qui se succèdent et se ressemblent, et je constate qu’à 20/30 milles des côtes, on trouve un vent qui tourne autour des 30 nœuds. Je le dis, mais on me réplique sèchement que Pamplemousse ne remonte pas contre 30 nœuds de vent debout. 


Pourtant, dans la mer rouge nous avons eu plus de 35 nœuds dans une mer hachée avec le rail de cargos sur bâbord, les côtes d’Arabie Saoudite puis celles du Sinaï sur tribord, entre ces deux  écueils des plateformes pétrolières, leur lot de trafic incohérent et, pour achever le tout, certaines plateformes désaffectées mais non signalées. Nous étions deux si l’on excepte Michel blessé au cours d’une manœuvre et inopérant sinon pour la cuisine. " Tu as eu beaucoup de chance et puis, l’Atlantique ce n’est pas la mer Rouge ! " Ah oui ! ici c’est la mer bleue !

5 décembre
CLAUDE A LA BARRE
(Photo du net)
Vers minuit, nous tentons de prendre le 3e ris. Le grand chef a mis Claude à la barre en dépit de ce qu’il ne connaît pas le bateau, que le vent a forci et que la houle est maintenant très forte. Claude obéit aveuglément à son maître. Je suis au pied de mât pour aider Thierry à la manœuvre. Encore heureux que l’on m’accorde le droit d’aider le skipper. Claude perd la route et laisse le bateau tomber vent arrière avec une grand-voile partiellement hissée. Pamplemousse se sent confortable sous cette allure et ne compte y changer pour rien au monde. La bataille est rude, longue, que dire, interminable, épuisante. 


Pamplemousse est un têtu. La voile à mi-course fait une poche dans laquelle s’engouffre le fort vent. Il faut affaler complètement la grand-voile pour parvenir in fine et avec l’aide du moteur poussé à son maximum, à le faire revenir à une position plus en rapport avec le grand manitou, qui tient absolument à nous mener dans le cœur de la tempête. Travers au vent, moteur petite vitesse, vitesse de crabe mou. 


Au petit matin, le chef décide de renvoyer cette saloperie de trinquette. Il est amoureux de cette cochonnerie. On n’avance pas plus vite, mais ça fait plaisir au chef. Je décide de renvoyer le 3e ris. Thierry n’est pas d’accord. " Ce n’est pas possible "  me dit-il ! Je passe outre. Mutinerie ? Ça peut me coûter cher ! Je sens déjà le chanvre me gratter la pomme d'Adam. Alors que j’engage la manœuvre, plus pour ne pas avoir l’air bête que pour m’aider, Thierry flanqué de son fidèle adjoint, après s’être copieusement harnachés comme il convient à d’intrépides transatlantins, arrivent à mon secours. La voile est déjà hissée, bien évidemment.


Dans l’après-midi, le vent monte à 45 nœuds. La houle est énorme mais ne déferle pas. Pamplemousse se hisse au sommet de ces crêtes majestueuses. Il en redescend en se fondant aux aspérités de l’ondulation liquide. Cela donne des coups de boutoir puissants. A l’intérieur, il vaut mieux s’accrocher fortement. 


Dans la soirée, le vent force encore la dose et un orage s’abat sur Pamplemousse. La crête des vagues est comme cisaillée par le vent. Le spectacle est grandiose. La mer en furie est un spectacle à couper le souffle par la puissance, la majesté des éléments déchaînés. Je n’ai de cesse d’admirer le spectacle, avec la satisfaction de constater que Pamplemousse s’en sort très bien. Les embruns malveillants sont rabattus à l’intérieur du cockpit. Tout est mouillé, trempé, poisseux. Le vent dépasse alors les 50 nœuds. 


C’est le moment choisi par le pilote automatique pour cesser tout service. Il va falloir barrer au compas. Ce n’est pas la mer à boire, sauf que la répartition des quarts ne nous avantage pas. Nous barrons, Jean-Claude et moi, de 20 à 24h et de 4 à 8 et les deux autres de 0 à 4. Jean-Claude s’essaie à barrer au compas, mais ce n’est pas son fort. C’est vrai que chaque fois qu’il est venu sur Pamplemousse, à peine sorti de la marina ou du mouillage forain, on branchait le pilote et roule la caisse. Ce n’est pas la meilleure façon de se familiariser avec le compas et ses sautes d’humeur, surtout dans une telle mer. Au bout d’un moment, il baisse les bras et me rend le tablier, ou plutôt la roue. 


En fait, c'est moi qui me tape les quatre heures d’affilée puis les quatre nouvelles heures de fin de nuit. Mais Jean-Claude ne m’abandonne jamais. Nous bavardons sans cesse. Enfin, c’est plutôt lui qui fait le discours, mais son papotage me tient éveillé. Brave Jean-Claude, il a tant de qualités et de connaissances dans un tel éventail de domaines que beaucoup pourraient lui envier, que je ne tiens pas compte de cette petite carence.

6 décembre
Enfin, le skipper s’est décidé à casser un bord pour rentrer à terre, sur Agadir. Le vent a faibli mais la houle est encore très forte. Le point d’amure de la trinquette a lâché. Sous la force du vent, elle glisse et se hisse au plus haut. J’ai toujours ma tenue express : pieds nus, pantalon et veste de quart qui ne me quittent que pour rejoindre la couchette car dans le cockpit tout est mouillé. Je n’ai donc qu’à enquiller mon harnais de sécurité et je suis sur zone. 


Le skipper et son second sont plus longs à intervenir. Le temps qu’ils enfilent leur tenue de cosmonaute, la bataille est finie. En l’occurrence, j’ai ramené la voile, fixée solidement pour l’empêcher de battre et constaté que la ferrure du point d’amure avait rendu l’âme. Pourtant, une grosse manille en acier inox. Inox mais pas incassable.

7 décembre
5 heures du matin. Brusquement, le moteur ralentit, s’étouffe et s’arrête. Je balance des coups de fil à Enercal, au domicile,  pas de réponses. Jean-Claude, toujours plein de ressources, me rafraichit la mémoire : " Mais ton fils, il à un mobile ! " Celui-ci répond de suite et me promet un mail détaillé sur la marche à suivre. Le mail arrive sans plus tarder. Thierry s’en inspire. C’est un problème de filtre encombré. Il purge les injecteurs et c’est reparti au premier coup de clé. 


Dans l’après-midi, nouvel arrêt moteur. Nouvelle purge des injecteurs. C’est reparti. Progressivement, la houle se tasse. Elle laisse loisir de l’admirer. Le soleil joue à cache-cache avec la pointe des déferlantes avant de s’évanouir derrière l’horizon. Féérie de la mer et de la nature.

8 décembre
Thierry n’est plus malade et commence à s’alimenter. Il est temps, il ne lui reste plus beaucoup de viande sur les os. Comme il aurait été plus simple de naviguer en consensus, comme j’aime le faire. Je n’ai pas l’autorité ni le tempérament pour faire autrement.

9 décembre
19h30, nous prenons place au wharf d’Agadir. Nous avons mis six jours sept heures trente minutes pour faire le parcours. Je retrouve mes amis australiens du " NOWORNOT ". Un AMEL Super Maramu de 50 pieds à un poil près, arrivé l’avant-veille. Ils sont partis de Rabat deux jours après nous. Ils ont fait le parcours en soixante-trois heures. Ce couple de vieux Brisbanais a eu la sagesse de prendre le chemin que je préconisais. Ce n’est pas de la chance, c’est du bon sens.

MARINA D'AGADIR. AU FOND,
LA COLLINE DE LA CASBAH
C’est bien que l’aventure se soit terminée à Agadir. Je me sais capable d’avaler des couleuvres monumentales mais je sais aussi que quand la colère me prend, je suis incontrôlable et l’affaire aurait pu très, très mal se terminer. Autant je suis pusillanime et timoré, autant je ne crains pas la castagne. Qui a été l’instigateur de ce traquenard ? Je n’en ai pas la moindre idée et je m’en fous. Probablement une conspiration initiée par trois centraliens dont un, au-dessus du lot, probablement entraîné par les deux autres, ligués contre un va-nu-pieds, rêveur et caldoche de surcroît.

La morale de cette aventure, c’est de m’avoir fait réaliser que le bateau n’était pas préparé pour supporter un très gros temps.  Il y a beaucoup de choses à revoir si je ne veux pas avoir de problèmes en cas de gros coup de tabac. Celui-ci pouvait s’éviter mais je peux rencontrer une météo qui me cherche... et me trouve. Et puis, à force de jouer les rigolos, on ne passe pas pour quelqu’un de sérieux. D’ailleurs, mes amis le docteur Toté et Christian, qui me voyaient jouer au tennis sans ne jamais rien prendre au sérieux disaient bien : " Charly ? Il est pas sérieux ! " Mais c’est fini, promis juré. Maintenant je naviguerai en costume-cravate. Je donnerai des ordres tonitruants et, au besoin, j’userai de mon fouet sur les équipiers récalcitrants ! 


Qu’on se le dise !


===OOO===

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire