mardi 1 février 2011

LA TRAVERSÉE DE L'ATLANTIQUE - CAP SUR SALVADOR DE BAHIA - 1ER FEVRIER 2011


LA TRAVERSÉE DE L’ATLANTIQUE 
CAP SUR SALVADOR DE BAHIA


Cet article commence à AGADIR, Maroc
Le 1er février 2011
Mes coéquipiers sont (est) mon fils Christian

Drapeau animé du Maroc par Pascal Gross


Apéritif dînatoire pour les amis,
leur cadeau.
Le 1er février 2011, nous organisons un apéritif dînatoire pour les amis que nous laisserons à AGADIR, que ce soient les équipages des voiliers qui nous suivront, la plupart se dirigeant plutôt sur les Antilles, ou le personnel et la direction de la marina avec qui nous nous sommes liés d’amitié. Ils étaient tous là, Samir en tête, inoubliable comme sa charmante bras-droit Naima qui ne s'en laisse pas conter, Ali, Hassan et j'en oublie, ou l’équipe entière de la société Lamine - qui ferait bien de reprendre le contact que j'ai perdu - dont l'équipe a refait, entre autres innombrables travaux, tout le circuit électrique. 


A eux tous, ils ont tant réparé, changé, modifié sur Pamplemousse ! Nous allons encore une fois devoir quitter tout ce petit monde grâce auquel nous nous sentions chez nous. J'allais oublier tout ces aventuriers qui, comme nous, vont traverser l'Atlantique, chacun avec son parcours, son rythme, ses impératifs, tout ce qui fait que nous serons très rapidement dispersés. Il y avait TROLL, CASA TXIKI, MARCO POLO, BARADA, et notre voisin de Brisbane, NOWORNOT. Les reverrons-nous un jour ? C’est toujours le côté atroce de ce type d’aventure.


Mon fils aîné Franck et ma belle-fille ont passé une semaine en ma compagnie. Ils ont fui l’hiver rigoureux d’Irlande pour se réchauffer et me tenir compagnie. Le 2 février, mon second fils, Christian, arrive de Nouméa. Il a fait un long voyage sans histoire. Nous ne partirons que demain, de façon à ce que les deux frères aient une soirée ensemble. Plusieurs années ce sont écoulées depuis leur dernière rencontre.


SAINT CHARLES
Le 3 au matin sur Pamplemousse, dès le réveil, l’activité est fébrile, l’émotion est palpable et le stress général. Le couple Franck et Karine doivent prendre le bus qui les mènera à Marrakech, qu’ils visiteront avant de prendre l’avion pour Dublin via Madrid,  qu’ils visiteront également en détail. Ils nous quittent avant notre départ. Horaire oblige. La douane exige que nous allions, Christian et moi, au nouveau port pour clore les formalités de sortie. Nous pensions nous débarrasser de ces problèmes administratifs directement au bureau du port. C’eût été trop simple ! 

Nous larguons les amarres à midi avec force coups de corne de brume. En écho, les voiliers de la marina font donner la leur. Joyeuse cacophonie. C’est la coutume instaurée par le sympathique brain-trust de la marina. Sitôt que les poumons se furent essoufflés à prodiguer cette démonstration sonore sympathique, les soucis survinrent. 

Le pilote automatique ne fonctionne pas. Christian se met à la tâche, sa première !
Il faut en même temps envoyer les voiles, sinon on va patiner dans la choucroute. Ca donne une activité fébrile de toutes parts. Christian a du mal à trouver la panne. On installe le pilote de secours. Ca ne se fait pas en claquant des doigts. En trois heures, 6 milles se sont évaporés. Pas de quoi chauffer l’étrave à blanc. Enfin, Christian parvient à refaire fonctionner le pilote. La vitesse s’améliore. A 16h30, 11 milles parcourus. Faites le calcul, il n’y a pas à  pavoiser. La première nuit se passe sans incident. Nous ne voyons plus la terre et ça risque de durer. Au près, les manœuvres sont restreintes, d’autant que le vent n’est pas violent. On a du 10 nœuds apparent. Pas suffisant pour que l’éolienne produise.

CHRISTIAN (à l'époque du noir et blanc)
Nous avons quitté hier la marina d’Agadir par un vent très faible. Il nous a poussé la journée et la nuit au maximum à 5 nœuds (1.200 tours/minute…) Bonjour la voile, avec une forte houle de travers. Il faut vite que le pied marin tienne ! Ce matin, une petite brise de 5 à 10 nœuds de travers ajoute une petite propulsion. Les voiles sont donc hissées, mais rapidement. Avec le lever du jour, nous nous apercevons qu’une ligne de pêche et sa bouée sont accrochées au safran. Arrêt moteur, voiles affalées. 
Nous dégageons notre rémora et gagnons 100 tours au moteur. Vivement que le vent se décide. Est-ce que quelqu’un peut regarder sur le site nc-pamplemousse.com ; suivi en direct si le tracker fonctionne ? 
  

J’ai pris mon quart à 23 heures sous un magnifique ciel étoilé. La Grande Ourse se pavanait, accoquinée avec l’étoile polaire qui s’obstinait à vouloir entraîner Pamplemousse plein nord. Elle savait bien, cette grande solitaire qu’elle baisserait de plus en plus sur l’horizon et disparaîtrait pour laisser la place à nos étoiles à nous, Croix du Sud, Orion, Scorpion et compagnie. Elle n’avait pas à se faire de mouron, avec notre vitesse de tortue, elle ne serait pas oubliée de sitôt. Pendant le quart de Christian, le vent est tombé, sans se faire mal, rassurez-vous. Christian a sagement rangé la garde-robe, remplacée par le moteur. 

Blotti dans ma couchette, j’ai senti le changement. Le bateau s’est mis à rouler bord sur bord. Je me serais cru revenu à Agadir, les coups de boutoir sur les aussières en moins. A la fin du deuxième quart, s’est levé un petit vent de 10/12 nœuds de travers, suffisant pour nous pousser à 6 nœuds. C’est alors que Christian m’appelle à l’extérieur. Une ligne de pêche est prise dans le gouvernail. Il a fallu que je plonge. Gaffe d’une main, scie à pain de l’autre, elle n’a pas résisté longtemps. L’eau n’était pas froide, mais le plus dur a été de remonter à bord avec la houle qui me ballotait d’un bord sur l’autre.

Le 4 à 12 heures, distance parcourue pendant ces premières vingt-quatre heures : 107 milles. Nous sommes encore à 143 milles des îles Canaries. Une petite vie pépère commence à s’installer. Christian est promu chef cuistot et moi chef des pluches. En sus, me revient la lourde charge de gérer la cave. L’objectif est de limiter la consommation. On sait jamais, des fois qu’on tombe sur un radar camouflé au creux d’une vague !  

Le vent se maintient au bon plein mais les prévisions sont dans les jours à venir direction nord-est, ce qui nous donnerait un bon travers. Avec une bonne seringue de tonicardiaque dans les côtes, il se les bougerait, ce vent de malheur ! On lui demande pas grand-chose sinon, avec son travers, cinq petits nœuds de plus.
Vitamines
Le 6 à midi, deuxième nuit en mer. Pamplemousse marche comme un dieu, sans l’aide du moteur. C’est super sympa et peu courant mais alors, qu’est-ce qu’on consomme comme électricité, avec tous ces appareils. Heureusement, éolienne et panneaux solaires fonctionnent à fond.  

Je cuis des frites de patate douce pendant que Christian fera les steaks pour le dîner. J’ai préparé une pleine marmite de ma spécialité, composée d’un mélange ahurissant de légumes où l’oignon et l’aïl  ne sont pas absents. J’appelle ça un ragoût, mais la présence de soyu noir, d’épices et d’herbes folles fait dire à Christian qu’il y a tromperie sur la désignation.
Comment vous faire comprendre que c’est vraiment très dur ? Ce matin, avant le lever du soleil, alors que les Canaries ont disparu avec la nuit et que plus aucune terre n’est visible, même en plein jour, nous nous sommes pris dans une ligne flottante de pêcheurs. Nous sommes passés brutalement d’une vitesse de 8 nœuds, cela faisait plus de douze heures que le moteur était à l’arrêt, à une vitesse de 3 nœuds. J’ai vu trop tard la lumière scintillante délimitant l’extrémité du filet. Nous nous retrouvons entouré de lignes et de bouées. Un hors-bord tout juste équipé aux normes africaines et pas même bon pour aller à l’îlot Canard vient nous aider. Les trois aventuriers pêcheurs nous font de vastes signes incohérents. Devant la montée de notre colère ils se décident à nous libérer en coupant leur ligne. 

Des dauphins nous accompagnent vers la sortie. Nous prenons l'habitude de ces visites journalières et sympathiques. Le vent est au rendez-vous pour le moment. Pamplemousse en profite pour avaler des milles tel un coursier bien ventru. Une pointe à 11 nœuds a été enregistrée cette nuit. Ne rigolez pas, sinon je vous fais goûter de la ratatouille ragoutante de mon cuistot de père !

A 8 heures 45 ce matin, nous sommes à 31 milles de notre premier way-point, travers aux Canaries. La nuit a été fournie en manœuvres. Envoyer le génois tangonné. Manœuvre effectuée à deux. Détangonner le génois, effectué par Christian en solitaire. A la relève je me dis qu’on peut envoyer la grand-voile. Je m’équipe du harnais de sécurité. En chaussettes. Il fait un froid de canard. Projecteur de pont. On se croirait sur la place de la Concorde un soir de réveillon. J’enroule le génois. Sacrebleu, ça bloque. Je vais voir plus près ce qu’il en est. Christian a posé le tangon encore accroché au mât sur le bout de l’enrouleur. Il faut défaire le tangon. Pendant l’opération, le génois se débat comme un forcené sorti de l’asile.

Non d’un tazar, écoute et contre-écoute se sont enlacées façon « Amoureux de la Saint-Jean ! » on a oublié le nœud d’arrêt au bout de l’écoute. La loi des séries catastrophes. Une vague vicieuse en profite pour m’arroser copieusement. Merde, mes chaussettes ! Quand j’ai pu enfin renvoyer le génois, je soufflais comme un bœuf paré pour l’estocade. Le résultat est là. 7 nœuds en permanence. Le travers, il aime ça, le Pampan. C’est pas encore les alizés, mais ça y ressemble. On devrait les attraper après avoir passé les Canaries. A midi, on devrait pas être loin de notre minimum syndical.

Marre, de la ratatouille que l’on n'arrive pas à finir. J’ai fait un hachis Parmentier de la mort qui tue. Je peux vous dire que cuisiner quand le bateau roule bord sur bord, c’est du spectacle. Il y avait huit parts, de quoi survivre pendant vingt-quatre heures, le soir même il en restait à peine pour une fourmi solitaire. Sans me vanter, il était presque parfait, ce hachis. J’ai fait une seule erreur : j’ai utilisé le four à gaz au lieu de l’électrique. Tout ça pour ne pas mettre le groupe. On est sur un bateau, merde ! Qui veut acheter une superbe gazinière avec un four à chaleur fixe qui vous grille un hachis en un clin d’œil ? Les enchères sont ouvertes.

Ici, il n’y a pas de vent l’après-midi, mais la nuit. Nous avons fait des pointes à 10/11 nœuds. On m’a dit 12, mais je laisse au capitaine le soin de prouver la qualité de sa vision nocturne. Il faut dire qu’au dessus des 8 nœuds plein vent arrière, les vingt tonnes de Pamplemousse roulent d’un bord à l’autre sur leurs zests bien épais. Ceci peut entraîner des troubles de la vision. Nous avons du mal à atteindre les 150 milles par jour. Le bateau est trop lourd mais j’ai un petit secret : nous avons le plein d’eau, ce qui fait 1.600 kilos. Pour deux personnes, ça fait au moins 600 kilos de trop. Alors, sans rien dire à personne, quand je me brosse les dents, je laisse couler l’eau. Quand je me douche, je m’attarde et je laisse couler l’eau. Bref, je gaspille. Peut-être que le capitaine va constater une baisse anormale du niveau et me demander d’aller à fond de cale contrôler une fuite d’eau éventuelle. Je n’en parlerai que s’il m’annonce une pointe à 13 nœuds.

Pour répondre aux  questions d’un internaute, les Açores ne sont pas sur notre route mais bien plus au nord, dans le froid. Les Canaries sont passées depuis un moment. Nous sommes en approche du Cap-Vert. Nous privilégions la route directe (il faut rattraper "Banque Populaire !") Quant à la question de ramener une carioca  mignonne, pourquoi pas, mais il faudra qu’elle entre dans la valise.


Lundi 7 février.
Cette nuit, nous avons marché du feu de Dieu, jusqu’à plus de 12 nœuds, mais ça n’a pas suffi pour compenser les 5 nœuds de la journée. Bref, nous n’avons parcouru que 167.5 milles ces dernières vingt-quatre  heures. Peut mieux faire, mais encore faudrait-il que ces maudits alizés ce décident à souffler sérieusement et en service continu. A part ça, tout va très bien, madame la Marquise. Christian a mijoté hier un poulet au curry excellent. Ca change la vie à côté de la ragougnasse du skipper - dixit Christian.

Hier après-midi, comme de coutume, le vent est tombé. Malgré la garde-robe complète au soleil et le moteur à 1.100 tours à contrecœur. Le mazout est économisé pour la traversée du vilain pot au noir, nous nous traînons à 5 nœuds, au-dessous de notre limite de 6 nœuds. 

Vers 21 heures, le vent forcit. Voile en ciseau. Ça marche du feu de Dieu. Mais ce vent est capricieux, il refuse progressivement, et pour le suivre, nous devons faire un cap au-delà du Cap-Vert. Il faut donc rouler le génois, affaler le tangon et renvoyer le génois pour revenir sur notre route. Ça se dit en deux mots mais, avec 30 nœuds de vent bien sonnés, ce n’est pas du gâteau. On enquille les harnais, pleins feux sur la plage avant. Je vais au balcon pour réceptionner le tangon à deux mètres au dessus du pont. J’aurais dû écouter ma mère et manger de la soupe pour être plus grand. Merde, j’ai encore oublié d’enlever les chaussettes. 

Trop tard. Elle font éponge à la première vague. Assis dans le balcon, je réceptionne la bête, qui fait son pesant d’aluminium. C’est à ce moment qu’une vague agressive s’éclate contre la coque, monte au ciel se faire bénir, en revient démentielle en douche froide. Hurlement de rage en langage bien de chez nous. Ca me glisse entre les omoplates. Rangement du hale-bas et de la balancine. Retour en arrière, où Christian s’impatiente, l’écoute en main prêt à renvoyer le beau génois tout neuf. Mon harnais est coincé sous le tangon. Retour à l’avant. 

Une nouvelle vague vicieuse en profite pour me baptiser d’une douche sacrée sacrément vicieuse. On envoie la sauce. Retour à la couchette. Pas pour longtemps. Il faut réduire la toile. Le bateau est terriblement ardent. Nous sommes maintenant au petit largue. Couchette bienheureuse. Pas pour longtemps encore. Il faut remonter, enlever la retenue de bôme pour pouvoir la border. Le MER VEILLE s’éveille, cette merveille me casse les oreilles. Un cargo se dirige vers le nord sous la Grande Ourse, qui ferait bien de le croquer pour qu’on en finisse avec l’alarme du MER VEILLE. 

C’est bon, c’est plus de mon âge, ces galipettes. Je m’enfonce dans la couchette que vient de quitter Christian. Le tangon tribord vibre comme une aile de Concorde sur le point de ce cracher. Juste au dessus de ma tête. C’est insupportable. Je m’équipe d’une plaque de caoutchouc mousse, que je rentre à force sous le tangon. Ça lui calme ses ardeurs vibrationnelles.


Eh oui ! j’ai craqué. J’ai accepté de mettre le groupe pour recharger les batteries et, accessoirement, pour regarder des films à la télé. Pour le prochain carénage, j’ai mis en première ligne des travaux à faire sur Pamplemousse : installer le groupe dans le coqueron arrière pour ne plus l’entendre et pour se donner bonne conscience. A part ça, Pamplemousse plein vent arrière avance à un train de sénateur. La mi-parcours devrait être atteinte demain après-midi. Les températures se réchauffent. On se rapproche de l’équateur. On a tombé les survêtements.


Jeudi 10 février.
Il y a des jours vachement calmes où on a envie qu’une bonne tempête nous secoue les puces. Contrairement à une vieille habitude qui date d’au moins trois jours, cette nuit, le vent ne s’est pas levé. Il a fait la grasse nuit. Résultat : moteur plus voiles avachies qui courent après le moindre souffle. Ce n’est que tard ce matin qu’il a décidé de se mettre en train. Trop tard pour donner un bon résultat pour ces dernières vingt-quatre heures : 116 milles

C’est pas brillant. Demain ce sera meilleur. Il semble que nous ayons enfin attrapé les alizés. Pamplemousse vole avec ses voiles en ciseau. Nous avons transvasé la réserve de mazout contenue dans les bidons à l’arrière. Opération qui demande beaucoup de délicatesse avec un bateau qui roule énormément.
... transvasé la réserve de mazout... 

Vendredi 11 février. Les cinq dernières minutes.
Je crois bien que nous avons enfin attrapé les alizés par une aile. On ne va plus les lâcher jusqu’à Salvador si ce n’est pour traverser ce maudit pot au noir. Il n’est pas encore très fort. A peine 20 nœuds plein arrière. Il serait trois quarts, ce serait mieux pour la vitesse et la stabilité. 

On n'est jamais contents. Faire du sud, ça paye au niveau température. On ne grelotte plus dès qu’on sort du carré. Les maillots de bain ne vont pas tarder à sortir du placard. Concernant la pêche on est les rois des nuls. Plusieurs leurres restés dans la gueule d’une baleine mais rien sur le pont malgré deux lignes en permanence du lever au coucher du soleil.


Samedi 12 février : Résultat des courses !
Nous avons réduit un peu la voilure hier soir mais ça n’a pas diminué la vitesse. Au pointage à minuit nous étions en chemin pour faire un record dans les 24 heures plus de 7 nœuds de moyenne avec pour conséquence un bateau très inconfortable. On ne peut pas tout avoir !

Le vent forcit. On peut faire mieux si on résiste à la tentation de réduire le génois tout neuf.


Dimanche 13 février.
La journée, ou plutôt la nuit, s’annonçait sous les meilleurs auspices. Le pointage à mi-journée, en fait à minuit, laissait prévoir un record de distance parcourue en vingt-quatre heures. Pamplemousse surfait sur les vagues. Oui, mais les vagues devenaient houle, et de petites déferlantes venaient éclairer la nuit. Les étoiles en palissaient de jalousie. Il fallait s’agripper à la couchette pendant que l’homme de quart se faisait tancer par le pilote automatique qui perdait le cap. La monture donnait des coups de cul à vous désarçonner un Ghislain Santacroce, notre cow-boy national. Résultat, chaque déplacement devenait laborieux et à éviter.

A la réception des messages, après que le bol de café eut fait un vol plané sur la moquette, mon ami Amar, qui me fait le récit journalier des événements en Egypte et internationaux, m’apprend que Moubarak vient de démissionner. Le peuple égyptien est en liesse. Mon fils Marc me le confirme. La nouvelle fait le tour de la Terre plus vite qu’une fausse rumeur. Mes pensées vont vers mes amis algériens et le peuple qui mériteraient une issue semblable. Je leur dis : jamais deux sans trois. Je ne sais pas prier, mais je croise les doigts et leur souhaite beaucoup de courage.


A midi, 171 milles parcourus. Plus de 7 nœuds de moyenne. Entre temps, survient un problème : plus d’eau au robinet. Pourtant, le réservoir est aux trois quarts plein. En fait, c’est le tuyau qui sort du réservoir et qui distribue dans tout le bateau qui est bouché. Il faut démonter à quatre pattes dans la cale et décrasser le malveillant. Ça prend du temps et de la matière grise. 

Pas la mienne, le peu que j’ai, je la réserve pour raconter des âneries aux copains. C’est alors que tout fonctionne parfaitement que Christian remarque qu’un support moteur est cassé. Une réparation de fortune s’impose. Pour l’instant, et dans les jours à venir, le moteur n’est pas nécessaire, mais pour traverser le pot au noir ébène et à l’arrivée, il va bien falloir le faire tourner, ce maudit moteur. Christian alias McGyver a la solution, mais la réalisation, c’est comme enfiler des perles sur une balançoire. 

Après tout ça, je prends mon courage à deux mains pour faire ce récit, en déséquilibre sur une fesse. Pas très palpitant au niveau navigation, mais si riche en événements quand  un dictateur tombe, qu’un troisième prépare ses arrières, que notre nain de jardin de l’Elysée ne sait que faire pour faire oublier ses écarts de langage de boueux, ses mensonges répétés, ses échecs camouflés, son bling-bling incongru, quand, jusque sur le Caillou, notre Zorro à l’égo hypertrophié tremble pour son siège, ça vaut de supporter un peu d’inconfort. 

Je trinque à la santé des peuples libérés de leurs tyrans, à ceux qui se battent pour en être, et à tous ceux qui se laissent de moins en moins berner par les beaux discours.

Lundi 14 février : Elle souffle !
Nous avons eu la visite encombrante d’une baleine amourachée de Pamplemousse. Elle est venue lui faire des mamours à quelques mètres. Il n’en était pas très fier et ses passagers non plus, malgré la beauté du spectacle. A sa première apparition, nous avons été surpris sans appareil photo ni caméra. La deuxième apparition ne s’est pas faite à la position attendue. Enfin, la troisième fois, elle est sortie si près sur le flanc tribord, à sept mètres, estimation Christian, qu’appareil photo et caméra se sont déclenchées avec un temps de retard, si bien que nous n’avons pas pu immortaliser ce spectacle extraordinaire. Pamplemousse a tenté d’échapper à ses avances en piquant des pointes à plus de 13 nœuds, 13.7 nœuds le maxi. Voyant le peu d’effet de ses avances, elle n’a plus réapparu, sinon une fois au large avec un soufflement de mépris.

Pendant la nuit, plusieurs poissons volants sont venus mourir sur le pont. On a pensé un moment s’en faire une friture mais Christian a préféré s’en servir pour pêcher au vif. Enfin, au vif, c’est façon de parler car enfilés sur les hameçons des leurres, ils ne frétillaient pas beaucoup. De belles prises ? Que nenni, résultat négatif ! Pas le moindre petit goujon ! Par bonheur, le résultat de la course journalière fut plus positif : encore plus de 7 nœuds de moyenne. 

Le maître-queux n’a pas forcé son talent. Une boite de cassoulet 4/4 fera l’affaire, améliorée d’un verre de vin blanc. A peine servi qu’un coup de gite spectaculaire envoie voltiger l’assiette et le verre de Christian sur la moquette, avec atterrissage en plein sur ma belle veste San Francisco, dont le golden gate s’est coloré d’un brouillard jaunâtre et crémeux parsemé de saucisses de Strasbourg. 

Christian s’est ingénié à ramasser sa pitance tel un gueux se jetant sur les restes méprisamment laissés par son seigneur. A part ça, rien à signaler, sinon que le soleil ce couche de plus en plus tard. Le lever en fait autant. Avec le sud, la chaleur gagne et des étoiles nouvelles apparaissent à l’horizon. Ah si ! décision est prise de prendre les repas dans le cockpit, où il sera plus facile de contrôler les assiettes aux velléités de vol plané.


Depuis les Canaries, nous avons les voiles en ciseau, soit déjà depuis huit jours, en ayant fait comme seule manœuvre épuisante de réduire ou renvoyer du génois et +10 ou – 10 sur le pilote automatique. Dans trois jours, nous devrions atteindre notre prochain way-point, qui est l’île Penedos de San Pedro e San Paulo. Le premier qui trouve sa position géographique gagne un bon-point. Nous avons eu encore la visite d’une baleine, attirée par l’arrière train de Pamplemousse. Énervé par ses avances, Pamplemousse a piqué des pointes de vitesse jusqu’à 13.8 nœuds. 

Du coup, j’ai avoué mon infâme action sur la quantité d’eau sur le réservoir. Le capitaine a reconnu en avoir fait de même. Il faut dire que nous avons une grosse réserve d’eau minérale en bouteilles et une grosse quantité de bières, calculée pour quatre personnes sur la base du contenu en poids sec de malt et de houblon. Le vent s’est un peu calmé, mais pas la houle. Avec l’équateur, nous devrions avoir un vent plus de travers, qui devrait donner au bateau une position plus stable.

15 Février.
La journée avait bien commencé, par une belle nuit étoilée. Le vent semblait mollir, mais pas l’appétit ni la soif de l’équipage. Sans attendre, nous avons renvoyé le peu de génois qui restait enroulé. Au petit matin, à peine avalé de bon entrain nescafé et biscottes beurrées, et après avoir pris connaissance des nouvelles internationales transmises par le reporter sans frontières, notre ami Amar perché dans sa délicieuse ville de Dellys, je sors le spi de sa couchette. 

Ça fait trois ans qu’il n’a pas travaillé. La dernière fois, c’était en remontant le début de la mer rouge avec Gilbert, tandis que le Corse qui nous faisait office d’équipier était planqué dans sa couchette. Son chômage n’est même plus payé. 

Un vrai spi mexicain. A propos, vous connaissez la différence entre un spermatozoïde et un Mexicain ? Ben, y’en a pas ! Sur un million, y’en a qu’un seul qui travaille ! Le spi en question a tôt fait d’éblouir le ciel bleu de ses couleurs chatoyantes. Il lui reste encore quelques plis de sommeil mais les 25 nœuds de vent vont lui défriser tout ça ! 

Christian te mijote de ces petits réglages à la Franck Camas qui font bondir Pamplemousse. Comme qui dirait que la baleine était revenue l’exciter. Mais non Pampan, c’est passé, la Saint-Valentin. 


Brusquement, Christian m’appelle. Il a l’œil partout : « Regarde la ferrure du bas hauban tribord ! » Elle baille aux poissons volants et montre une fêlure d’un bon centimètre. Une fêlure dans une ferrure, c’est mauvais ! Il faut affaler le spi. Le chameau ne se sera pas foulé aujourd’hui. La grand-voile prend le même chemin. Christian cherche la solution. 
Il me fait sortir tout le stock d’accastillage. Le stock, c’est pas Marine Corail, Leroy Merlin ou Accastillage Diffusion. Il s’intéresse à une plaque d’inox d’un bon centimètre d’épaisseur, réfléchit et finit par dire : « On va faire avec ça ! » 

Vous le voyez bien, que c'est dur !
J’ai peur de lui demander comment, vu le matériel dont dispose l’atelier du bord pour travailler l’inox. Je sens qu’on va épuiser le stock d’huile de coude. Il faut d’abord scier la plaque en deux morceaux égaux, dans le sens longitudinal, évidemment, le plus long. Ça c’est pas trop difficile. On règle le problème en une demi-heure. 
Ensuite, c’est là où ça se corse, et avec les Corses on sait pas trop où ça nous mène ! Il faut faire le plein du groupe. On l’a mis à sec hier soir pour regarder un film. C’est parti la séance de perce, avec des mèches récalcitrantes qui finissent  rondes comme des queues de dinosaure. 

A 3 heures de l’après-midi, les estomacs crient famine. Pause casse-croûte syndicale et rebelote pour finir les trous. In fine, la pièce est montée, le bas-hauban fixé mieux que du neuf. On peut rhabiller Pamplemousse. D’abord la grand-voile, ensuite le génois tangonné. Trop tard pour envoyer le spi, mais il ne perd rien pour attendre. Demain, au lever du jour, on va le mettre au boulot et il fera des heures sup' en pagaille. 

Pour finir, le skipper boite. Il s’est mis une limaille d’inox dans le pied. Il est pas prêt de la déloger. Quant à Christian, un seul mot : il est ban, le fistan !

pour ce qui est du résultat des dernières vingt-quatre heures, mieux vaut ne pas en parler vu l’exploit : 137 milles.

Jeudi 17 février.
Pot au noir et pot de chambre. Nous y sommes, dans ce salaud de pot au noir, en l’occurrence un pot de chambre. 
Il pleut à en décrocher les étoiles. Le ciel est noir comme le pot éponyme. Le pire, c’est le vent. Un coup, bout dans l’axe d’où que je t’affale tout. A peine fini d’affaler qu’il revient par le travers. Heureux comme des papes, on envoie le génois et puis le spi, et que j’t’affale le spi en catastrophe. Une masse noire nous arrive dessus bout dans l’axe. 

Avec le régatier que j’ai embarqué, on ne cesse pas de manœuvrer, de nuit comme de jour. On approche de l’équateur, mais on est un peu " fiu"  comme on dit chez nous, à Papeete. Ce matin, entre deux averses, on a changé les coulisseaux de la grand-voile, qui ont rendu l’âme. Elle est fin prête pour affronter le vent de travers de 15 nœuds prévu par la météo.

Heureusement, mon ami Amar n’en a pas marre de me faire un tour d’horizon des événements internationaux. Algérie d’abord puis, selon l’actualité, la Lybie ou, par exemple, l’Italie où les « mama » ont délaissé les fourneaux pour manifester contre leur cavaliere dévoreur de pucelles. Il n’oublie pas non plus notre nain de jardin, qui les accumule. Cette fois ce sont les Mexicains qui en font les frais.

Un petit oiseau sortant de je ne sais où a voulu chercher refuge dans le cockpit. Probablement qu’il voulait escaler après un long vol international, car la première terre est à plus de mille kilomètres. C’est pas loin de là que s’est craché le vol Rio-Paris. Quand il a vu les deux hommes, pourtant statufiés pour ne pas l’effrayer, l’atavisme contre le pire des prédateurs a prévalu. Il a préféré rejoindre les passagers du vol perdu. 

Le résultat de nos manœuvres incessantes sera payant : nous ferons pas loin de 160 milles en vingt-quatre heures.

Vendredi 18 février.
Pétole molle, le vent s’est calmé. Il a tourné dans tous les sens. La pluie s’en est mêlé. Il fait chaud. Nous sommes en plein pot au noir, que nous pensions pouvoir éviter. La météo en a décidé autrement. Le compas indique toujours le sud, comme me l’a souligné la pianiste (certains vont la reconnaître!)
Le Perkins est heureux comme tout. Il ronronne dans la cale, quitte à gaspiller un peu de gasoil. Après un petit séjour la tête dans la cale, ça va mieux pour le moteur et mon estomac a tenu. « Christian, viens traverser l’Atlantique, tu verras, cette fois, tu n’auras rien à faire ! » qu’il disait, le capitaine. 

On espère plus qu’on ne l'attend un vent d’est-sud-est (Pas trop de sud, s’il vous plait). On a profité du calme plat pour gratter la coque. C’est pas facile avec cette houle de l’Atlantique qui ne nous lâche pas.

18 février.
Cette nuit et l’après-midi dernier ont été bien arrosés. Pamplemousse est propre comme un euro neuf. La balise ne fonctionnait plus. En lisant la notice, nous avons vu que, quelquefois, la balise ne pouvait pas percer une couche nuageuse épaisse. C’était le cas. Dès que cette couche a diminué, la balise s’est remise à fonctionner.

19 Février. Le jour d’après.
Hier après-midi, nous nous sommes mis à l’eau pour gratter les petites bestioles qui souillent les dessous de notre vaillant coursier des mers. Le bateau est strictement immobile. Nous avons lâché une aussière flottante par mesure de sécurité. Elle nous serpente dans les pattes tel le monstre du Loch Ness. Comme il va montrer ses fesses aux belles cariocas, il vaut mieux qu’elles soient irréprochables, comme le quinquennat de notre président.

Christian, après avoir plongé dans le grand bleu s’enfonce dans les bas-fonds de la cale. L’objectif est de fignoler un bricolage qui permet de récupérer le mazout qui fuit de la pompe à injection. On en perd un demi-litre par heure de marche. Ca vaut la peine de se pencher sur le problème. 
La nuit se déroule toujours sans le moindre souffle. Sauf à 22 heures : un frémissement dans la bonne direction semble indiquer que le vent revient. Le génois est de suite déroulé. Il nous propulse à 6 nœuds, mais l’euphorie est de courte durée. Il se retrouve bien vite à embrasser les barres de flèches à contre. 
Au petit matin, à peine fini d’avaler la tartine beurrée à la confiture de goyave made in Marie-Odile Vittori, la girouette s’excite. On envoie le génois. Je dis à Christian : «  On va envoyer la grand-voile ! » Il faut rentrer le génois, se mettre bout au vent, envoyer la grand-voile, reprendre le cap et dérouler le génois. La manœuvre tout juste terminée, je dis à Christian ; « Sous cette allure, on peut tenir le spi ! » L’opération spi est plus laborieuse. Je pose ma caméra bien calée et je filme la scène en live. Pamplemousse est boosté. C’est Ariane au décollage. 

Ce midi, position 1°15 South, 27°30 West. Distance parcourue : 115 milles. C’est le premier positionnement au sud de l’équateur. Ça va rappeler de bons souvenirs à Gilbert, avec qui nous avions pataugé dans la grande bleue de l’océan Indien, et encore pataugé pour traverser le pot au noir dans l’autre sens. Cette nuit, nous garderons le spi, pour rattraper le temps perdu.

20 février : Fatigue !
Nous espérions tenir le spi toute la nuit et continuer à bien marcher, mais le vent est tombé. Nous avons affalé spi et grand-voile, déroulé le génois et l’avons bridé avec le tangon pour qu’il ne batte pas. Nous subissons une forte houle de travers avec un roulis épuisant. Ce soir, ce sera soupe chinoise et direction bannette.


21 Février : Tangon volage !
A 3 heures du matin, je suis réveillé par un changement de régime moteur. Je saute dans le cockpit et dans mon harnais pour aider Christian qui enlevait le tangon. Je sais que seul, ce n’est pas une sinécure. A moitié endormi, par malchance celle qui est sur le pont, je lâche top vite la balancine qui retient le tangon, toujours positionné à une hauteur pas possible. Le tangon part en descente accélérée et rate de peu Christian qui aboie aux enfers. On renvoie le génois sans tangon devant un orage qui arrive plein pot. Avec l’orage, le vent est monté très vite à 20/25 nœuds sous une pluie torrentielle. Nous avons dû réduire le génois, Christian à l’écoute, moi à l’enrouleur, en slip. 
Nous avons pris une douche carabinée. Une fois séché, Christian s’est couché. J’ai pris la relève. Dès l’orage passé, le vent est tombé. J’ai renvoyé de la toile… pour rien. Elle a vite fait de battre dans le vide comme les moulins à vent de don Quichotte. 
Ce matin, le vent est autour des 15 nœuds et ça plane pour Pamplemousse. 6 nœuds régulier. Dommage qu’il soit trop pointu pour envoyer le spi, sinon c’était les 10 nœuds assurés, surtout maintenant qu’il est allégé de plus d’une tonne d’eau, une demi de carburant et presqu’autant de bières, vins et autres boissons consommées immodérément. Je ne peux pas discourir trop longtemps. Cette vache d’ordi bouffe du courant comme un ogre affamé. Avec ce temps couvert, les panneaux solaires sont inefficaces. Heureusement qu’il y a l’éolienne.

22 février. Carton plein.
Cette nuit, nous avons cartonné. Il y a eu un orage qui n’a pas nécessité de manœuvre. Nous avons filé à 8 nœuds sur une mer plate. Exceptionnel ! Je pense qu’on fera une moyenne de 6 nœuds sans moteur pendant plus de vingt-quatre heures. Nous sommes à 650 milles de Salvador. Ce ne sera pas trop tôt, car on commence à fatiguer du régime ouvre-boites.

Mercredi 23 février. Vingtième jour de mer.
Hier, on a décidé de mettre le spi. Pamplemousse a été boosté. Dommage qu’on ai trop attendu. Malgré cela, le résultat est là. Nous ferons un peu plus de 6 nœuds de moyenne ces dernières vingt-quatre heures et un peu plus demain si le vent se maintient. Ce qui n’est pas certain. La météo annonce une baisse de vent sur l’arrivée à Salvador. Il nous restera 400 milles à courir soit trois jours de mer. 
On commence à en avoir ras la casquette. On se demande si on va encore savoir marcher sur la terre ferme. D’autant qu’une nuit sous spi n’est pas de tout repos. Il faut constamment veiller pour changer le cap ou le réglage en fonction des caprices du vent, qui n’est pas très fidèle. 
On ne lâchera plus le spi jusqu’à l’arrivée. Les cargos commencent à nous taquiner mais ils passent encore loin.

Mercredi 23 février,
Notre correspondant de presse nous annonce le tremblement de terre à Christchurch. Nous sommes très touchés. La Nouvelle-Zélande est un pays ami. C’est peu de le dire. Nous n’y avons que des amis. Personnellement, j’y suis allé tant de fois qu’il m’est impossible de les compter. Pour le business, le ski, la voile, le golf, et toujours avec un plaisir renouvelé. Je suis bien content d’apprendre que l’Amérique supporte le peuple libyen en lutte contre son dictateur.

Jeudi 24 Février. Nuit sans vent.
Nous sommes en panne de vent mais pas de vin ni de boites de conserves. Malgré que Christian ait bidouillé un système qui permet de tenir spi et génois en ciseau du plus bel effet, le résultat n’est pas au rendez-vous. Il nous reste 331 milles à faire. On pensait arriver samedi soir, du coup l’arrivée est reportée. A quand ?

Vendredi 25 Février.
On est à 280 milles de Salvador, mais il n’y a qu’un petit vent de rien du tout. La météo prévoit du 15 nœuds à partir de cette nuit. Si elle pouvait voir juste, ce serait pas mal.

Samedi 26 février. Nuit d’enfer.
Après cette nuit éprouvante à veiller voiles et cargos, nous ne sommes plus qu’à 111.3 milles de Salvador. La délivrance approche et l’enfant se porte bien. Le pouls, pardon, le vent, est encore faible et toujours plein arrière. Nous naviguons avec le spi appuyé du moteur à 1.000 tours, soit le minimum de consommation. Les réserves s’épuisent, que ce soit d’eau, de carburant ou de nourriture. La seule chose qui ne risque pas de manquer, ce sont les bières. Nous gardons un bidon de mazout de trente litres en cas de panne sèche. 
En fin d’après-midi, le vent force  - " Que bueno ! " -  pas une seconde à perdre. Le spi affalé, cette fois bien assuré. Face au vent, grand-voile envoyée. Retour sur le cap, le spi est renvoyé. L’espoir renaît. En permanence, les prévisions sont révisées : à cette vitesse, on arrivera à mi-journée demain. Les heures et les milles défilent. Optimisme de rigueur. Tôt après, changement de prévision. On arrivera en début de matinée. Le vent force et adonne. Bien vite, les prévisions d’arrivée changent avec la météo. 
Nous arriverons de nuit. Ça va être coton ! Y’a intérêt à être vigilants. Nous ne sommes plus qu’à 30 milles de l’arrivée. La veille en fin de nuit, nous avions vu les pâles lueurs d’une grande ville, mais c’était Récife. L’horloge du bord pointe sur minuit mais elle est encore à l’heure d’Agadir. Manœuvre. Nous affalons le spi et envoyons le génois. Le premier danger est à 20 milles

Christian émet l’idée de dormir une heure. « Pas question, il faut veiller, ce n’est pas le moment de baisser les bras ! - Mais papa… ! - Il n’y a pas de mais ! » Il se résigne. Le temps passe, monotone. Les lumières de la ville sont impressionnantes. Je m’allonge devant l’ordi qui montre le lent déplacement du bateau sur la carte. Hélas, le sommeil m’attrape, par surprise. Un claquement de la grand-voile me réveille en sursaut. Une bonne heure a passé. 
Christian narquois : « Je croyais qu’il fallait veiller à tout prix ! - Tu parles, je croyais qu’on avait mis le moteur tellement tu ronflais !»

Nous voyons un feu que nous prenons pour celui de l’entrée. Les lumières des immeubles, de l’aéroport qui crache et avale ses avions en permanence, les cargos qui commencent à nous friser les moustaches. 
SALVADOR, enfin.
Il y a de l’ambiance et du stress. Après réflexion et étude de la carte « seaclear », un logiciel gratuit qui permet de lire les cartes diffusées par « sail the world ». L’inconvénient c’est que le système monopolise l’ordinateur. D’où pas question d’envoyer ou de recevoir des messages. 
La concentration et l’excitation sont maximales. Le premier obstacle est laissé sur bâbord. Le sillage des avions se confond avec les étoiles filantes. Le faux vrai phare apparaît, rassurant. Il nous ouvre la porte sur Bahia marina. Nous longeons une immense baie sertie d’immeubles. 
On se croirait sur la Gold Coast. Pas assez de lumières pour photographier ou filmer. C’est bien dommage. L’entrée apparaît. La montagne d’immeubles sombres se détache à peine d’un ciel encore plus sombre et menaçant. C’est plus la Gold Coast, c’est Manhattan. 
Le fort, fortifié, doit être épinglé jusqu’à avoir l’entrée de la marina par le travers, pour éviter des écueils qui fleurissent à mi-chemin. Il est temps de se manifester. 

Appel à la VHF dans un anglais appliqué, pas trop mauvais à force de répéter toujours les mêmes formules. Réponse dans une cacophonie que ce serait du chinois ou de l’hébreu, ce serait pas pire. Nouvel essai en espagnol, plus hésitant. Nouvelle émission cacophonique. Il faut se rendre à l’évidence, les échanges ne vont pas être commodes. Je m’engage en laissant la guérite d’entrée sur tribord. 
Un zodiac est là, qui nous fait signe de le suivre. Le ciel s’éclaircit. Le guide nous fait signe. J’engage la manœuvre quand notre guide s’aperçoit que l’emplacement ne dispose pas d’épontille. 
Demi-tour. Cette fois, c’est la bonne. Le temps de terminer la manœuvre et de fixer Pamplemousse fermement, le jour s’est levé sur Bahia marina. 
Fin du parcours et projet d’une sieste carabinée prolongée, et bien méritée.


TEXTES ET PHOTOS : 

  • du père, saint Charles,
  • du fils, saint Christian, et
  • du sain esprit d'aventure et de dérision qui les caractérise. ©

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