lundi 16 mai 2005

DE DARWIN À CHRISTMAS ISLAND


DE DARWIN 

À CHRISTMAS ISLAND


Cet article commence à DARWIN, Australie
Le 5 mai 2005
Mes coéquipiers sont 
Norm†, Gilbert GAMBARDELLA

LA MARINA DE DARWIN  
Jeudi 5 mai 2005. Check-out avec la douane. Nous n’attendons plus que le technicien parti depuis trois jours avec la BLU pour faire en sorte que le système "SAIL MAIL" installé à Bowen fonctionne enfin et nous permette d’envoyer et de recevoir des emails, mais surtout d'avoir les prévisions météo qui nous ont si cruellement manqué. Le douanier a de l’humour. Il nous sert à son propos : "C’est normal, c’est Northern Territory, Not Today, Not Tomorrow !

Il arrive relax à 11 heures pour annoncer froidement que le system Practor n’est pas homologué, que son homologation prendra plusieurs jours. Nous ne pouvons pas attendre. Le meilleur moyen, c’est qu’il l’envoie à COCOS ISLAND où nous escalerons pour le récupérer.



COUCHER DE SOLEIL SUR
LA MARINA
 DE DARWIN
Va pour Cocos, à 1.500 milles de là. C’est pas ça qui va nous démoraliser. Cap sur l’OCEAN INDIEN. Gilbert et moi entamons un concert interminable. Norm coure se réfugier dans sa tanière. Il n’apprécie pas l’art vocal, le bougre !


Le vent n’est pas violent. D’énormes méduses d’un marron peu ragoûtant envahissent la mer. La Norm...alisation de la cuisine est totale : légumes cuits à l’eau, bouillon, rien d’indigeste. Heureusement qu’il y a le soyu, la moutarde, la mayonnaise et le ketchup pour relever tout ça ! Le cuisinier fait la grimace quand il nous voit inonder ses mets de ce mélange d’ingrédients de médiocre qualité diététique. Gilbert est épaté de l’agilité avec laquelle Norm monte aux premiers échelons pour aider la voile à se ranger. Il ne savait pas qu’on avait embarqué un singe. Mais le singe en question nous casse le moral en nous racontant qu’il avait fait le parcours DARWIN-LAMBOCK en INDONESIE en huit jours de calme plat, huit jours de moteur. C’est le sort qui nous semble réservé. Les manœuvres, quoi qu’il en soit, se font à la perfection. Pas étonnant ! Plus de deux siècles d’expérience à nous trois.
Samedi 7 mai 8 heures. Nous sommes survolés par un avion des douanes. Serions-nous soupçonnés de trafic de drogue ou de traite de blanches ? Les papys trafiquants. Ce serait un titre accrocheur pour un roman policier. Toujours rien sur les lignes de traîne et la pétole se maintient. Nous naviguons plein ouest. Le soleil se lève entre les pataras et se couche dans l’étrave. Le soleil se couche et se lève de plus en plus tard. Le décalage se fait sentir sur les montres qui ne sont plus dans le coup. Vénus est visible en avant première.


Lundi 9 mai. Nos amis les douaniers sont fidèles. Quand ils nous survolent, j’ai le temps de les filmer. C’est bien joli mais ça ne nous donne pas du vent. Déjà cinq jours à se traîner lamentablement. Cette nuit révèle des nids de lumière de plus en plus intense sur tribord. Ce sont des plates-formes pétrolières, véritables villes miniatures.


Mercredi 11 mai. Les douaniers volants sont au rendez-vous. Cette fois, Norm les accroche à la VHF et leur demande la météo. Vent de 15 nœuds en prévision sur la zone et dans les jours qui viennent. Norm fait un essai réussi de cuisson de pain. Un peu charbonneux sur les bords mais mangeable ! Gilbert lui demande la recette. Dans l’après-midi, nouvelle fournée. Gilbert au fournil, Norm volubile. Comment se comprennent-ils ? Mystère de l’amitié ! Nous avons hissé le spi. Plus pour faire joli que par souci d’efficacité. 



Nous avons hissé le spi. 
Un nœud de plus ! " Oui mais un gros " ajoute Gilbert jamais à court d’une bêtise... grosse également. Il faut dire que cette mer d’huile avec cette chaleur étouffante, ça ramollit les neurones. 
Plutôt timorée, la mer de TIMOR " encore un échantillon piqué dans la réserve de notre pied-noir. 


Une multitude de petits poissons suit le bateau. " Et si on essayait l’épervier ! " Grace ou à cause de cette mer passée au rouleau compresseur, les repas sont de plus en plus copieux et raffinés. 


A l’heure du tea-time de l’après-midi, Gilbert propose de faire cap sur Christmas Island pour refaire le plein de carburant et d’eau car, si le calme plat continue, nous risquons la panne sèche. 
Norm enfonce le clou : " Je connais Christmas. C’est facile d’accès et les gens sont sympa ! - Sinon, on arrivera pour Noël à Christmas ! " ajoute Gilbert, mais c’est pour rire !




Convaincu, je trace la nouvelle route et constate qu’elle passe au ras des fesses d'ASHMORE REEF. « Et si on en profitait pour faire un coup de langoustes ! » L’idée à priori farfelue germe et prospère. Peu après cette décision historique, un énorme mahi-mahi, se prend à batifoler au bout de la ligne. Je hurle un coup en français un coup en anglais pour ameuter la compagnie et les sortir de leurs bannettes. Ils se précipitent, s’affairent qui sur la gaffe, qui sur la ligne. Le beau poisson se débat avec acharnement et finalement, à quelques mètres du bateau, se libère. Déception chez les pêcheurs ! 


Alors qu’une fuite de mazout nous occupe pleinement Gilbert et moi, la marche du bateau est confiée à Norm, qui a charge de surveiller les récifs qui se rapprochent. Nous mouillons dans huit mètres. L’eau est d’une limpidité remarquable. Rapidement, je m’équipe. Ce n’est pas les proies qui manquent, mais plutôt un bon plongeur. Une belle castex nonchalante fera l’affaire de Norm et de sa poêle à frire. A regret, nous quittons ce récif paradisiaque perdu au milieu de l’océan Indien.


Jeudi 12 mai. En sept jours nous n’avons couvert que 714 milles. La chaleur est étouffante. Le calme plat est total. Cligner une paupière suffit pour être en sueur. Il n’y a plus de petit coin fraîcheur. Le pont pourtant clair devient brûlant. Nous apprécions le doghouse qui nous préserve au moins de l’exposition directe au soleil. Norm nous sort de cette torride torpeur par deux mots : " A ship ! " dit-il en montrant un point de l’horizon où grossit une embarcation douteuse.




(Photo du net)
Une espèce de jonque crasseuse nous croise à portée de voix et à petite vitesse. Elle est habitée par un équipage semblant sorti tout droit d’un mauvais thriller. Pas un geste de sympathie ! Pas de salut ! Nous la suivons des yeux jusqu’à ce qu’elle disparaisse. Cette rencontre remet en mémoire moult histoires de pirates fabulées avec délectation dans les bars des yacht-clubs. Cette nuit nous naviguerons tous feux éteints, par précaution.


Pourtant, à 22 heures, Norm alerte les dormeurs : " There is a ship behind us ! " Les lumières d’un petit cargo ou d'un bateau de pêche se rapprochent. Je fais mettre un cache sur les instruments de bord. Au radar, aucun écho ! Serait-ce une jonque tout en bois ? Une jonque furtive ? Je mets le moteur en appoint et je change de direction. Après une demi-heure à jouer à nous faire peur, il semble que l’écart se creuse, jusqu’à ce que ses lumières disparaissent.


Vendredi 13 mai. Il nous reste quatre-vingt-trois heures de moteur en gardant une réserve de 150 litres. Enfin, cette nuit, un vent sérieux s’est levé pendant mon quart. Gilbert, qui souffre d’une insomnie passagère, me tient compagnie. Il parle avec tant de chaleur de sa jeunesse dans sa Kabylie natale, des nombreux amis qu’il a laissés là bas, de ce déchirement devant les événements qui ont déchiré des hommes entraînés dans des drames incontrôlés, de l’admiration qu’il porte aux Kabyles, tout ça assorti d’anecdotes contées légèrement mais tellement poignantes qu’elles m’en mettent les larmes aux yeux. L’obscurité les camoufle !


Samedi 14 mai. Le vent est maintenant bien établi autour des 20 nœuds apparents. Nous marchons enfin à vitesse raisonnable : 6/7 nœuds. Au crépuscule, la question se pose de prendre un ris ou d’attendre. J’attends, mais je fais sortir et préparer les harnais au cas où ! A 9 heures du soir, Norm me réveille. Un cargo arrive sur l’avant tribord. Il faudrait s’écarter sur bâbord mais nous sommes à la limite de l’empannage. Avec ce vent, il est plus facile de changer de panne en virant face au vent mais pour cela, il faut, dans l’ordre : fermer tous les hublots, capeler les harnais, mettre le moteur en marche, rouler le génois, bloquer le tangon et enfin virer.



(Photo du net)
Pendant l’exécution de toutes ces opérations, le cargo s’est dangereusement rapproché. Je crains que nous n’ayons plus assez d’eau pour virer face au vent. Je dis à mes deux équipiers de se préparer finalement à l’empannage vent arrière. Nous n’avons plus le choix. Je leur demande de freiner au mieux la grand-voile en bordant l’écoute. Je vire peut-être avec trop de précipitation ? La grand-voile passe violemment. L’écoute se prend sous le bras de Norm et l’envoie chuter brutalement. Il se redresse à genoux, prostré, plié par la douleur. Il souffre terriblement. Gilbert tente un massage du bras et de la main. Pendant ce temps, j’ai nettement modifié la route pour m’éloigner au maximum de ce maudit cargo.


Sans Norm qui souffre trop pour participer aux manœuvres, remettre le bateau dans son cap plein vent arrière, génois tangonné, demande beaucoup de temps. Il faudra anticiper beaucoup plus tôt les changements d’allure à l’aperçu d’un prochain cargo. La zone est très fréquentée. Probablement à cause de la relative proximité de SINGAPOUR.


Dimanche 15 mai. En repensant à l’accident de la nuit dernière, je réalise à quel point le danger est omniprésent, combien il faut une vigilance constante, sans faille. La nuit dernière aurait pu être tragique. Norm n’était pas loin de passer par-dessus bord. Malgré son harnais ça n’aurait pas été facile de le récupérer. Norm ne se plaint pas mais se tient le bras, qu’il ne peut pas bouger sans grimacer. Il se déplace avec difficulté. Nous lui proposons de voir un toubib à Christmas. Il refuse avec véhémence. Sa grande fierté : ne jamais avoir consulté ! Il refuse le Doliprane contre la douleur que lui propose Gilbert. En face à 400 milles : Christmas island.


Lundi 16 mai. Le vent force progressivement après avoir paressé pendant 10 jours. C’est pas plus mal, mais il faut prendre un ris. Malgré un équipier hors service l’opération se déroule à merveille. La mer s’est creusée. Elle devient inconfortable. Elle nous avait habitués à plus de douceur. Le repas est succinct. C'est aussi le cuisinier, qui est hors service. Gilbert fait de son mieux : soupe chaude et saucisses au pain sec ou au ketchup, selon les goûts. En pleine nuit, l’anémomètre jongle avec les 40 nœuds en apparent. Ça commence à faire beaucoup. Il faut prendre un deuxième ris. C’est presque de la routine. Norm, malgré la douleur, refuse d’être exempté de quart de nuit. J’ai quand même hâte d’arriver à Christmas pour le faire examiner. Il va falloir ruser. Il ne veut pas en entendre parler.

Mardi 17 mai. 164 milles passés dans le sillage. Presque 7 nœuds de moyenne malgré la réduction de voilure temporaire. De jour, les ris sont relâchés. 


Mercredi 18. Nous sommes à 90 milles de l’objectif. Nous avons bon espoir d’y arriver ce soir. 




En fait, c’est à 2 heures du matin que nous gaffons une bouée découverte après maintes recherches et hésitations. L’approche et l’abordage à Christmas se sont faits sans anicroche grâce à la carte MAXSEA sur l’ordinateur couplé au GPS.



===OOO===

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire