mardi 2 mai 2006

EGYPTE INFERNALE


EGYPTE INFERNALE




Cet article commence au CAIRE
Le 2 mai 2006
Mes coéquipiers sont Christian (aussi mon fils) DESCHAMPS, Michel BESNIER

Drapeau animé d'Egypte par Pascal Gross



LE CAIRE - Mosquée Mohamed Ali

Le mardi 2 mai 2006, j’arrive au CAIRE après un voyage perturbé par des retards d’avions qui me font perdre ma correspondance pour PORT-GHALIB et me contraignent à louer une voiture - avec chauffeur - pour rejoindre Pamplemousse. Six cents kilomètres de nuit et de lignes droites interminables. Je dors, tout au moins j’essaie, allongé sur la banquette arrière. Coup de frein et réveil brutal. Devant nous, un grand bus et un semi-remorque se sont percutés. Nuage de poussière, odeur forte de caoutchouc brûlé, puis hurlements des blessés.


Le chauffeur s'arrête. Il court porter secours aux blessés. Je descends également, plus en spectateur qu'en secouriste. Pas par manque d'humanité ou de bonne volonté, mais je n'ai aucune qualification dans ce domaine. Avec le chauffeur du semi-remorque et celui du bus, qui est indemne, le groupe d'urgentistes s'affaire. Bientôt, les hurlements des sauveteurs dépassent ceux des blessés. Il règne une cacophonie indescriptible. Hors les hurlements, l'efficacité des sauveteurs est bien mince. Un homme est coincé dans la ferraille du bus. Il s'épuise à hurler, alors que ses sauveteurs s'évertuent à essayer de détordre la ferraille à main nue. Ça court dans tous les sens. Les véhicules s'accumulent. Le temps passe. Inutile et fatigué, j'aimerais que le chauffeur troque son rôle d'infirmier pour celui de cocher. 



Une ambulance sortie du désert comme un mirage arrive sirène hurlante. Il est temps de reprendre notre chemin sur PORT-GHALIB. 

Arrivée sur Port-Ghâlib

Nous y arrivons la matinée déjà bien engagée. Formalités, rangement mais surtout nettoyage du pont littéralement ensablé à cause du Khamsin (vent de sable brûlant qui souffle du désert d'Egypte à Israël).  Je reste dans un coma profond jusqu'à 9 heures du soir. Le décalage horaire est passé. Après une collation rapide autant que légère, je largue les amarres et, au petit ralenti, dans cette immense marina complètement vide mais largement illuminée, je peine à trouver la sortie. Pourtant, un enthousiasme époustouflant me propulse à agir par réflexe. C'est bon de retrouver son chez-soi.




Formalités

Le bateau est recouvert d'une couche épaisse de poussière rouge. La coque est parée à souhait d'une mélasse composite de   coquillages et d'algues à en faire saliver un Japonais. Je plonge dans une eau fangeuse pour au moins alléger le gouvernail de sa gangue d'algues et de coquillages. Ce genre d'opération n'est traditionnellement pas autorisé à l'intérieur d'une marina, mais nécessité fait loi.




Dans l'après-midi, un coup de barre terrible me terrasse. Va pour un coup de sieste, carabinée. 




Sitôt la digue passée, je pointe au nord, bout au vent. Ce n'est pas un tendre zéphyr. Il souffle un bon 35 nœuds. Je prends un ris. Manque d'entraînement, l'opération n'en finit pas. Les voiles enfin établies, elles sont souquées pour un près ultra serré. Moteur à la rescousse. La vitesse et le cap sont à mettre au dépotoir. Je remonte jusqu'à rencontrer les premiers cargos qui suivent le rail descendant. Quel bonheur ce serait de pouvoir faire demi-tour et de les suivre. La couche d'algues et de coquillages qui alourdit la coque est un frein considérable.



Par bonheur, l'espace disponible entre le rail des cargos et la côte est suffisamment vaste pour tirer des bords d'un minimum de trois heures. Ce qui permet de reprendre largement son souffle entre deux virements de bord. Je suis heureux comme un pape malgré que Pamplemousse rue tel un pur sang. Il lutte férocement pour gagner contre le vent. Les mouvements désordonnés de ma monture lui donnent une allure très inconfortable. La gite est importante. Au lever du jour, je constate que le déplacement dans le vent est décevant. La dérive est très forte et l'angle de remontée des plus minables.



J'en attrape un coup de blues. Je calcule qu'à ce rythme, il va me falloir une éternité pour remonter jusqu'à Suez. Je décide de chercher une baie tranquille où je puisse m'équiper d'une bouteille de plongée pour gratter la coque de façon à améliorer le rendement. La carte me dévoile un abri  à une quarantaine de milles dans le vent.




AL QUESIR, petit port de pêche, devrait faire l'affaire. A ma vitesse, je n'y serai pas avant demain au mieux. Sauf si le vent voulait adonner un tantinet ou calmer ses ardeurs. Depuis le départ, il a plutôt tendance à forcer. J'attends d'ailleurs le lever du jour pour prendre un deuxième ris. Je commence à fatiguer sérieusement.



J'aborde le calme du port en fin de nuit. Je veux mouiller près d'une sorte de palangrier, mais des hurlements réprobateurs accompagnés de gestes obscènes m'invitent à m'abstenir. Je le fais d'autant plus volontiers que je sais que je laisserai en souvenirs de mon bref passage une bonne ration d'algues et de coquillages.




Dès que les premières lueurs de l'aube éclaircissent le paysage, j'enquille bouteille et Fenzy. Dans une eau glaciale mais limpide, armé d'un grattoir plus ample qu'une pelle de cantonnier, j'entame un décrassage en règle. L'opération est interminable. Quinze mètres de coque, ça n'en finit plus. J'en ai à peine fait un tiers que je n'en peux plus et que le détendeur tape dans la zone rouge.




Le vent au large n'a pas faibli, bien au contraire. Il tape dans les 40 nœuds. Avec les deux ris, un génois partiellement roulé, une coque allégée, le cap est meilleur. Illusion psychologique. J'ai tôt fait de comprendre que l'amélioration est minime. S'y ajoute une fatigue en hausse et un enthousiasme en baisse. Il faut pourtant que j'arrive au moins jusqu'à SAFAGA. Les jours passent, mon fils et Michel arrivent au Caire le 8 et nous sommes le 6. Je n'aurai jamais le temps de remonter jusqu'à Suez. Il faut que je sois demain à Safaga. Je réalise que si je tire des petits bords près de la côte, j'améliore le cap et la vitesse. Le problème est que ces virements incessants sont épuisants. Il va falloir tenir toute la nuit, avec des périodes de sommeil plus que rapprochées et saccadées.




En fin de matinée, j’entre à pleine vitesse dans le port de Safaga. Je mouille 40 mètres de chaîne dans cinq mètres d'une eau limpide comme le cristal. Le bateau en culant se prend la quille dans un bout qui traîne. Malédiction et tonnerre de Brest. Il va falloir plonger encore. Rien ne me sera épargné ! Le bateau est de travers et tire sur son mouillage.  Un bateau de pêche s'approche. Il a compris le problème. Le bosco ne parle pas français mais baragouine suffisamment d'anglais pour se faire comprendre. Il me demande un masque. Je lui refile masque, palmes et tuba. Il ne prend que le masque. Il plonge avec une facilité déconcertante pour un homme de sa corpulence. Il n'est pas obèse mais supporte une bedaine attendrissante.




Rapidement, la quille est libérée. Je le remercie chaleureusement. J'en profite pour lui soutirer un certain nombre d'informations. En particulier les moyens de rejoindre Le Caire.



Il y a un bus qui part cet après-midi. J'ai juste le temps de me préparer. Il se propose de me déposer à terre. En fait, il est le patron d'une petite affaire touristique. Il emmène les amateurs de plongée admirer les fonds sous-marins. D'où son habileté à la plonge et son anglais approximatif. Il vit sur son bateau avec son moussaillon. Il a un corps-mort permanent pas très loin d'où j'ai mouillé.




Je réalise alors qu'il ne m'a pas rendu mon masque. C'est pas un drame ! Le service rendu valait bien cela. Je m'affaire dans le carré quand un bruit de moteur et un appel m'attirent à l'extérieur. C'est mon copain le plongeur qui me rapporte le masque, en même temps que de quoi reprendre des forces.



A l'heure dite, il est là avec son annexe. Pied à terre avec un sac léger. Il me présente un de ses amis homme à tout faire, qui se propose de veiller sur le bateau. Il se fait fort de nous guider et nous convoyer à mon retour du Caire pour faire le ravitaillement. J'ai comme un soupçon - au mieux - sur l'efficacité du bonhomme.




Le bus est un omnibus populaire qui ramasse une populace chargée de colis invraisemblables qui vont de la volaille aux cageots de carottes. Les arrêts sont fréquents et interminables. Le Khamsin chargé d'un sable rouge souffle sur Le Caire. La ville a un aspect fantomatique. Elle présente une couleur ocre semblant sortir d'un film d'Hitchcock. La poussière s'incruste et colore l'ensemble de la ville, des trottoirs au firmament.




Je récupère une chambre pouilleuse dans un petit hôtel près de la gare routière. Michel et Christian vont arriver le lendemain frais et dispos malgré le long vol depuis Nouméa. Je prévois une visite du Caire et, bien sûr, des pyramides. 



C'est pas les propositions qui manquent. A peine sorti sur le trottoir de l'hôtel, on est agressé par chauffeurs de taxi, vendeurs de tout et de rien, démarcheurs en tout genre, arnaque assurée de tous côtés. Il faut pourtant bien choisir dans cette meute agrippante celui qui nous guidera vers les pyramides éternelles. Au hasard Balthazar, par réaction, ce sera celui qui en fait le moins. Il nous propose une balade à dos de chameau au pied des pyramides. Les pyramides et les chameaux sont bien là mais géographiquement, ils ne suivent pas le même chemin. Au bout d'une heure de ballotement à donner le mal de mer au plus aguerri des marins, la caravane s'arrête. Nous sommes arrivés. Les pyramides sont visibles... à la lunette astronomique!



" C'est parce que le temps est brumeux à cause du Khamsin qui a soufflé pendant deux jours ! " nous explique notre chamelier. Et son aide d'ajouter qu'en temps normal, on les voit bien ! Christian zoome un max avec son nouveau Nikon ultramoderne pour essayer de garder un souvenir. En bref, on s'est fait avoir!









Stagiaire...

Sur le chemin du retour, visite de fabriques de tapis puis de gadgets pour touristes à base de papyrus. De nombreux enfants y travaillent. Des stagiaires, nous dit-on ! Le tour organisé se termine avec la visite de MEMPHIS. 





A MEMPHIS

MEMPHIS était la capitale de Basse-Egypte. La légende raconte que la cité fut fondée par le roi Ménès vers 3000 avant J.C. Capitale de toute l'Egypte durant l 'Ancien-Empire, elle est restée une cité importante tout au long de l'histoire égyptienne. Elle est placée sous la protection du dieu Ptah. La ville occupe une place stratégique à l'entrée du delta du Nil. (Wikipedia)




Avec la visite du gigantesque, richissime - mais poussiéreux comme pas possible - musée du Caire, se termine la visite de la capitale. Il faut songer à rejoindre le bateau. 


Richissime musée du Caire
Location d'une voiture avec chauffeur qui nous ramène à Safaga où nous arrivons vers minuit face à la baie où ballotte tranquillement Pamplemousse. Comment rejoindre le bord ? Notre ami plongeur est à son bord comme le démontre l'annexe amarrée à l'arrière de son bateau. Il dort à poings fermés à cette heure. Malgré nos appels à s'égosiller les tympans, rien ne bouge, sauf Pamplemousse qui tangue sous le coup des ondes sonores. 




Heureusement, par contre, l'homme à tout faire et surveiller le bateau est là qui nous attendait. Il nous conduit en ville à notre demande à la porte d'un hôtel correct de sa connaissance. C'est un "moins cinq étoiles". Le prix, il est vrai, est à la hauteur de sa crasse et de son inconfort. Pas de lumière dans une première chambre, de draps ni de serviettes dans la seconde, des mégots épars, une chasse d’eau qui arrose partout si vous ouvrez l’eau, donc pas de douche non plus (et pas besoin de serviettes, évidemment.) Par contre, la chambre est climatisée. La clim est un peu bruyante... Qu’à cela ne tienne, éteignons la clim. C’est alors que nous avons la musique à tue-tête du bar en dessous. Remettons la clim, nous tombons de sommeil. On ne se préoccupe pas de la couleur des draps ; on dort tout habillés sur les couvertures. 



... à l'aise...
Nous ne pensons même pas à un petit-déj. Dès le lever du jour, nous nous pressons à la réception pour fuir. La cerise sur le gâteau, c’est au moment du départ, quand le Thénardier nous demande sans plaisanter un supplément … pour le service. Pendant que Michel et Christian s'insurgent, je les interpelle : « Regardez ! » Je leur montre un gros rat qui flâne, pas gêné pour un sou. On le sent bien chez lui, à l'aise. Le spectacle à l'avantage de court-circuiter le débat avec le tenancier.



Avec armes et bagages, nous rejoignons la baie où nous attend toujours Pamplemousse, et où arrive également l'homme à tout faire qui voulait se charger de la garde de Pamplemousse. Il commence par réclamer un bakchich. « Il y a eu un coup de vent! Le bateau dérivait vers les rochers, j'ai dû monter à bord pour lâcher de la chaîne. Il faut me payer pour le service ! » Âpre discussion. Je refuse, et pour cause. Vu du rivage, il est évident que l'écart avec le bateau du plongeur n'a pas bougé d'un millimètre. A moins que son corps-mort ait aussi dérapé. Il n'insiste pas. Il accepte, contre paiement, de nous déposer à bord. 




Pendant que Christian recharge les deux bouteilles de plongée, je descends l'annexe. Expédition ravitaillement. L'homme à tout faire veille au grain. A peine débarqués, il est là. Il se propose de nous guider vers les boutiques les moins chères et les mieux garnies. Nous comprenons rapidement qu'il choisit les bouges de ses copains, qui alourdissent les prix et arrondissent les poids sur la balance. La ficelle est grosse. Le seul avantage c'est la rapidité de la tournée. Michel promu au rôle de cuistot n'est pas satisfait de la qualité des produits. Il faut le consoler. Nous regarnirons la cambuse dans un supermarché à Suez !




Séance carénage sous-marin. Armés de nos bouteilles dûment chargées et de grattoirs conséquents, nous nous attaquons au reste d'algues et de coquillages qui alourdissent encore la coque. Christian est en manque de sommeil. Entre décalage horaire, rythme d'enfer et ersatz d'hôtel, il a oublié ce qu'était dormir.




Nous nous apprêtons à lever l'ancre quand notre voisin et ami plongeur nous aborde avec un chargement de nourriture locale. Je lui demande de revenir dans un moment. Je lui prépare ce que nous pouvons comme cadeaux : bouteilles de coca-cola, confitures, etc. le tout accompagné des quelques livres égyptiennes sauvées du rapace guide. Ce sera bien le seul Egyptien qui aura fait acte de désintéressement. Je le regretterai.




La Mer rouge est... très bleue

Le vent n'a pas molli. Sa direction n'a pas changé non plus. Bout dans l'axe de la route. Entre 35 et 40 nœuds. Il y a encore 150 milles à couvrir jusqu'à Suez, ça va être galère. Nous tirons des bords toujours entre la côte africaine et le rail de cargos jusqu'au moment ou il faudra le couper pour louvoyer entre lui et la côte du SINAÏ. Le réglage des voiles n'a pas changé. La houle est forte et courte. L'allure est toujours aussi inconfortable.




Michel est un novice en matière de navigation. Il n'a pas le pied marin. C'est la première fois qu'il le met sur un voilier, ou presque. Baptême du feu sérieux pour le bleu ! Il veut participer aux manœuvres, aider aux virements de bord. Alors que nous naviguons sur bâbord amure, la côte se rapproche. Il faut virer. Paré? Paré! On vire! Christian largue l'écoute bâbord quand elle commence à faseyer. Il se précipite sur celle de tribord et commence à la border rapidement. Michel veut l'aider en reprenant le mou du filin. Pamplemousse en profite pour ruer comme jamais. Michel est déséquilibré et tombe lourdement le dos sur le coin de la banquette du cockpit. Il pousse un hurlement.



On est mal. Je branche le pilote automatique sur le nouveau cap et nous nous affairons auprès de Michel qui semble souffrir terriblement. « Peux-tu bouger les doigts et les pieds? - Oui mais j'ai mal ! » Que faire? Je plonge dans la boîte à pharmacie. Efferalgan et pommade contre la douleur. Massage, on ne peut pas faire grand-chose d'autre.



Vue sur le Sinaï

Nous coupons le rail. La côte du Sinaï se montre au petit matin. Michel s'est réfugié dans sa couchette. Par bonheur, il n'a pas le mal de mer. C'est un avantage énorme car pouvoir dormir tranquillement  malgré les mouvements brutaux, désordonnés du bateau et les bruits du vent, des chocs de la houle contre la coque et le ronronnement du moteur, c'est pas donné à tout le monde.




Il nous faut louvoyer entre terre et rail tout en veillant aux plateformes pétrolières. Pas de problème pour celles qui sont en activité. Elles sont éclairées et se voient à des milles et plus. Mais  celles qui ne le sont pas sont dangereuses. Aucune lumière ne les signale. Il faut une vigilance sérieuse. La vie à bord est une succession de deux heures de veille, deux heures de sommeil entrecoupées d'un petit quart d'heure pour casser la croute ou quelques minutes pour participer au virement de bord qu'on essaie de faire coïncider avec le changement de quart.




La jauge de mazout baisse dangereusement. Nous consommons anormalement. A l'approche de Suez, nous tapons dans le rouge. Il faut garder une réserve pour entrer dans le port.



Arrivée en fin de nuit. Nous mouillons à portée de canon de ce qui semble être l'entrée du canal, dans une eau plate comme un miroir. Premier souci, régler le problème de carburant. Nous sommes bientôt abordés par une vedette manœuvrée par un Egyptien volubile qui se dit « agent accrédité ». Il nous balance sous le nez une carte au nom ronflant. Il est accompagné d’un Nubien noir comme le charbon, souriant comme une madone, ventripotent comme un fonctionnaire et filou à souhait. Première chose, je commande le mazout. Six cents litres, pour faire bonne mesure, vu que la jauge, un tuyau plastique transparent qui court du fond du réservoir jusqu’en haut, on ne peut plus simple ni plus fiable, est assoiffée. Un peu plus tard, une chaloupe arrive remplie à ras bord de bidons plastiques de vingt litres. L’opération consiste à vider le contenu du bidon dans une poubelle plastique sur laquelle est installée une pompe à main qui transvase le contenu dans le réservoir.




Après environ trois cents litres, le réservoir déborde. La jauge indique toujours zéro pointé. Christian alias McGyver enquête. Il hurle : " Mais papa, tu as oublié d’ouvrir le robinet de la jauge ! " Il agit de facto et se prend une douche mazoutée qui le met dans un état de furie cyclonique. Le père penaud se réfugie sous les draps. Que faire du solde de mazout commandé et payé ? Le Nubien malin en fait son affaire. Gardez les bidons je vais arranger ça. Il faut caser les bidons dans tous les coins et recoins de Pamplemousse transformé en pétrolier. Le mazout a dégouliné de partout. Le pont est une patinoire. Il faut laver à grand renfort de détergent.




Notre Nubien réapparaît : " Je vais vous expliquer ! Vous gardez les bidons et si on vous demande, dites que vous me les avez achetés mille livres ! Vous avez compris ? " On a rien compris à son arnaque sinon qu’on ne devra pas payer les bidons vides. Bon, répétez après moi ! Le cinéma dure un moment, dans une ambiance festive.




En guise de supermarché c’est le Nubien qui fait les courses. Les achats ne correspondent pas toujours à la commande, mais on se fait rouler avec le sourire. C’est toujours ça de pris et il nous fournit de viande de mouton qui ravira le cambusier. Le big boss arrive. Il a rempli un torchon de brouillon avec un récapitulatif de ce que je dois payer entre le droit de passage, les pilotes, et ceci, et cela ! " Ne vous inquiétez pas, je vais vous fournir le document officiel avec les tampons et signatures en règle - Je l’attends toujours – En attendant je vais vous emmener au distributeur ! "




La circulation dans le canal est suspendue. Il nous faut patienter deux jours. Une flotte anglo-américaine exige sa fermeture pendant son passage. Le pilote arrive. Il prend les commandes du navire jusqu’à ISMAILIA, ville étape où doit se faire un changement de pilote. Il est bien sympathique, ce pilote. Sympathie de façade ? La méfiance domine. Arrivée à Ismaïlia la sympathie s’efface envers un homme qui réclame haut et fort un bakchich pour son travail. Pas question de céder. Nous savons qu’il a été payé même si nous aurions bien du mal à lui en montrer la preuve. Il finit par céder.




Pilote jovial à la barre

Au premier chant du Muezzin, le nouveau pilote est au garde-à-vous sur le quai. Celui-là est d’autant plus jovial que son collègue a dû le prévenir que les trois frenchies ne cédaient pas facilement au chantage au bakchich. C’est un bavard. Il parle un très bon anglais. Il nous saoule à nous raconter sa vie. Il a un peu tout fait, malgré son jeune âge, mais surtout la manche.




Charles, touché par la grâce, 
reçoit l'auréole et est canonisé
saint Charles de Pamplemousse
avec un petit air de soeur Emmanuelle

Nous lui refilons de bonne grâce quelques paquets de cigarettes que nous gardons à cet effet. Personne ne fume à bord. Nous approchons PORT-SAÏD. Il nous prévient que nous devrons attendre la chaloupe qui viendra le récupérer. Il nous abreuve d’informations sur Port-Saïd comme si nous y allions pour immigrer. Je le refroidis en lui disant que nous n’avons pas l’intention de nous y attarder, pas même d’y faire escale. La chaloupe arrive, se met à couple. Il nous demande alors des paquets de cigarettes pour son frère qui est dans la chaloupe. Je refuse disant : « Je ne le connais pas, je n’ai aucune raison de lui donner des cigarettes. » Il embarque et continue à insister. Je fais signe à Christian de mettre en avant. Ils s’agrippent au bordage. Christian accélère, met la gomme. Ils s’accrochent. Une brutale marche arrière suivie d’une accélération plein badin en avant leur fait lâcher prise. On prend le large sous un flot d’imprécations hurlées en arabe. Incompréhensibles mais, pas de doute, ce ne sont pas des gentillesses.




Cap sur Alexandrie. Michel a repris du poil de la bête. Il faut dire que les conditions n’ont plus rien à voir avec celles de la mer Rouge. Brise 15/20 nœuds de travers. Petit clapot mignon. Il a encore mal aux côtes. Elles se remettent doucement des tracas de la chute. Malgré ses déboires, Michel n’a jamais failli à la tâche qu’il s’était assignée. Le plus souvent accroupi en scribe - en Egypte c’est normal - il pelait patates et oignons bruns au lieu de graver le marbre ou de griffonner le papyrus. Il nous servait plats chauds et soupes odorantes comme si de rien n’était. Il a envie de reprendre du service. Il veut me remplacer à la veille. C’est pas moi qui vais cracher dans sa soupe. L’appel de la bannette a toujours eu ma préférence. Tant pis pour celui qui s’y colle. Je lui explique comment savoir si la route d’un cargo est dangereuse car convergente. 




Je plonge dans les bras de Morphée. Un appel me sort du coma : " Charly ! Viens voir, il y a un cargo ! "  Vu le cap dudit cargo, il n’y a rien à craindre. Je replonge. Nouvel appel, plus tard. Plus impératif. Là, il y a urgence à intervenir. Quelle engeance, ces cargos.



Le Fort QAITBAY

Le Fort QAITBAY,

surveillance des oubliettes

Alexandrie brille de toutes ses lumières. Le temps de s’en approcher, il fait jour. Les bonnes odeurs chaudes de la terre nous chatouillent les narines. Nous entrons dans le port commercial pour y chercher la marina. Une vedette militaire rapide et rapidement s’approche. Elle est pleine à craquer d’hommes en uniformes galonnés et lourdement armés. Ils vitupèrent dans une innommable cacophonie l’ordre de dégager. Personne n’y comprend rien, mais les gestes et les mines pas tibulaires sont explicites. Demi-tour sans discuter vers la vieille ville. On rase les fesses de l’emplacement de l’ancien phare d’Alexandrie, sur lequel est construit le fort QAITBAY.





Phare d'Alexandrie
reconstitution tridimentionnelle
d'après une étude de 2006
L’île de PHAROS séparait deux ports énormes. Le fort a été construit dans les années 1480 à la pointe de l'île par le sultan QAI’T BAY, sur l’emplacement du phare d’Alexandrie, une des sept merveilles du monde antique. Il est d'ailleurs construit en partie avec des blocs antiques qui appartenaient, entre autres, au phare. Le  phare d’Alexandrie mesurait 135 mètres de haut et disposait de trois cents salles. Sa construction aurait débuté vers -297 avant J.C. (la date exacte est inconnue) et duré une quinzaine d'années. Au centre existait une double montée en spirale. La lanterne reste un mystère. 
Nicabs et fenêtres grillagées
Déjà endommagé par les nombreux tremblements de terre qui eurent lieu dans la région entre le ive et le xive siècle, il a été presque entièrement détruit par celui de 1303. Construit dans un style médiéval, le fort a été entièrement restauré en 2001. Il abrite le musée de la marine. (Wikipedia) 



Pamplemousse au milieu des pêcheurs

Alexandrie, Alexandra, c’est pas la joie. Il n’y a pas de marina mais une jetée réservée aux pêcheurs. Pour l’atteindre, il faut zigzaguer entre une multitude de barcasses et de filins qui traînent dans tous les coins et qui n’attendent qu’une hélice passe à portée pour lui faire de graves ennuis. La marche arrière en petite vitesse n’a jamais été le fort de Pamplemousse, manœuvrant comme un fer à repasser sous cette allure. De suite, un agent vient proposer ses services. Je m’inquiète des coûts. C’est le coût... de barre. La barre du cou en prend un coup. Torticolis assuré. Plus moyen de reluquer les Alexandrines en douce. Je proteste. Refrain connu. Je file à la police touristique. Ils ne parlent que l’arabe. J’ai bonne mine ! Le consulat de France est fermé. Ils cumulent les repos hebdomadaires européens et musulmans. Résultat : trois jours d’ouverture par semaine.



Les autorités me demandent une liste invraisemblable de documents. Le certificat d’utilisation des radios du bord. Je ne l’ai pas. Je le remplace par le reçu du prepaid des unités de l’Iridium. Pas très honnête mais pas moins que les documents en arabe qu’ils m’obligent à signer et qui pourraient être ma condamnation à mort. Ils font une inspection approfondie, détaillée, minutieuse du bateau, mesurant tout ce qui leur tombe sous la main. Cherchent-ils quelque chose de compromettant ? La fouille est interminable mais vaine. Le montant à payer n’est pas réduit pour autant. Pas de justificatif, sinon des documents en arabe. 


 


ALEXANDRIE compte aujourd’hui près de 4.000.000 habitants. Elle fut fondée par Alexandre le grand. Elle devint dans l’antiquité le premier port d’Egypte, la capitale du pays et le  plus grand foyer culturel de la Méditerranée, grâce à sa prestigieuse bibliothèque. Elle est située à l’ouest du delta du NIL, entre le lac MAREOTIS et l’île de PHAROS. (Wikipedia)


                                                                                                              


Le Marché dans la vieille ville

Entre deux prises de becs avec l’agent ou les autorités, nous visitons la ville et ses trésors. Quel dommage qu’une si belle ville soit gâchée par un accueil aussi rébarbatif et des formalités  antédiluviennes. L’Européen est considéré en Egypte comme une pompe à fric. Peu importent les moyens, il faut en soutirer un max. 



Beauté fanée

Alexandrie la magnifique, c’est quand même du passé. La vieille coquette a de beaux restes mais elle ne s’entretient pas, et il ne faut pas s’éloigner du front de mer ou ça devient carrément du délabrement, avec une hygiène qui laisse à désirer, mais un souk particulièrement vivant et coloré que nous avons traversé avec beaucoup de plaisir. Des fruits magnifiques en veux-tu en voilà, que de couleurs ! 


Tramway (si, si, il roule...)

Parc automobile dans le même état qu’au Caire, surtout chez les taxis, plus de tableau de bord, sièges défoncés, fermetures de portières aléatoires, vitres coincées avec des tournevis, volant dénudé... Folklo et même pas peur. 


Un tramway pas nommé Désir mais qui vaut le détour. Et des chars à bourricots très nombreux et d’un grand pittoresque. Quant à la célèbrissime (nouvelle) Bibliothèque d'Alexandrie, il faut du courage et de la constance pour la visiter : c’est pas l’heure, c’est plus l’heure, les tickets ne sont en vente que d’un côté de l’immense édifice et quand vous avez les tickets, vous ne pouvez pas entrer avec vos sacs et la consigne est fermée. C’est l’Egypte !                                                                                         





ALEXANDRIE by night vue du bateau

Michel quitte le bord, comme prévu. Il aura, pour gagner l’aéroport, son lot de vicissitudes qui vaudront d’être contées. (C'est fait, lire son récit DES ÉQUIPIERS : MICHEL BESNIER EN EGYPTE ET MER ROUGE)




Nous levons l’ancre avec un bonheur extrême. Cap sur la Turquie. Il paraît que c’est bien, la Turquie !


Textes de Charles Deschamps et Michel Besnier ©.

 




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