jeudi 13 octobre 2005

YEMEN - ADEN, L'EDEN DISPARU


YEMEN  

ADEN, L'EDEN DISPARU


Cet article commence au YEMEN
Le 13 novembre 2005
Mes coéquipiers sont Gilbert GAMBARDELLA, Jean-François dit Jeff PADOVANI

Drapeau animé du Yémen par Pascal Gross


Depuis hier, nous longeons les côtes du YEMEN. Les histoires de pirates nous encombrent l’esprit encore plus que les cargos qui nous passent sagement sur bâbord. En attendant, ce sont les filets dérivants qui nous posent problème. Ils sont signalés par un feu scintillant blanc ou rouge d’un côté et par le chalutier seulement éclairé d’un pâle feu de poupe. Il nous est arrivé de tomber nez-à-nez avec une longue chaîne de bidons flotteurs. La seule parade : moteur au point mort en catastrophe, suivi d’un large détour. Il y en a des kilomètres.



Traîne miraculeuse

La traîne devient miraculeuse. Six barracudas dont deux sont libérés pour excès de zèle à mordre à l’appât et deux autres mis au sel en vue d’une éventuelle famine. Le lendemain, c’est un magnifique mahi-mahi qui, à la toise exubérante de Gilbert, atteint les 1,50 mètre, et son petit frère qui ne fait pas la moitié de cette taille. 


Alors que nous approchons du port d’Aden, nous apercevons des barcasses de pêcheurs. L’une d’elle s’approche rapidement de nous en faisant signe de nous arrêter. Nous obtempérons, sur le qui-vive, plutôt inquiets, les histoires de pirates émergeant rapidement dans nos têtes conditionnées.




Piraterie en golfe d'Aden (Photo du net)

En fait, ils veulent troquer du poisson contre des cigarettes. Nous n’avons pas de cigarettes. Le deal se conclut par un échange de sardines contre boissons gazeuses. Ils sont tout heureux d’apprendre que nous sommes français. L’esprit d’Henry de Monfreid rode dans les parages de ces falaises déchirées aux couleurs sombres, agressives, d’un ocre soutenu presque sinistre. 


De piteuses habitations s’accrochent au moindre piton rocheux accessible. Alors que nous glissons lentement vers l’entrée du port, du haut d’un minaret l’immuable appel du muezzin résonne, étrangement amplifié par haut-parleur et relayé de mosquée en mosquée jusqu’à la dernière casbah, rappelant les fidèles à la prière. Saurons-nous comprendre sans les apriori inévitables qui nous collent à la peau des hommes et un pays aussi différents ?

Nous disposons pour cela de bien trop peu de temps. Nous ancrons en face du building du port et des douanes. L’incontournable agent arrive dans la foulée,  accompagné d’un douanier,  dans une felouque à moteur. Les formalités se font à une vitesse record. La fouille est légère. On nous demande des cigarettes. Nous offrons à chacun, en lieu et place, un beau morceau de mahi-mahi congelé.


A peine débarqués, nous partons à la découverte. La ville est sale. Tout est délabré, vieux, miséreux. Elle paraît avoir été bombardée. Il est vrai que la ou plutôt les guerres entre Yémen Nord et Sud ont engendré largement leur quota de destructions et rendu la monnaie en un lot de misère.

Beaucoup de mendiants. Nous ne ressentons aucune agressivité, plutôt de la passivité, de l'apathie, une nonchalance généralisée. Les femmes sont voilées de noir jusqu’au bout des doigts. Nous ne saurons jamais si elles sont souriantes.




BURNOUS

L’agent est à notre disposition totale. Un coup de fil et il arrive. Nous le questionnons : pourquoi le Yémen est-il si pauvre alors qu’il dispose comme son voisin Oman de pétrole ? Il se confie : " Vous voyez, les lampadaires ? " Comme à Mascate, ils sont tous ornés de la photo présidentielle ! " C’est Ali baba! " Allusion aux quarante voleurs. " Tout pour lui et ses copains, rien pour le peuple ! " Conviction personnelle ? Réalité ? Ou reflet d’une opinion publique discrète ? La circulation est désordonnée. Conduite à droite en théorie mais la loi du plus culotté prévaut. Les véhicules sont de toutes façons dans un tel état de délabrement qu’un accroc de plus ne change pas grand chose.


Nous dînons dans un boui-boui bien yéménite. Sourires à profusion. Anglais plus qu’approximatif qui empêche d’approfondir la communication que l’on sent pourtant désirée. Gilbert fait étalage de son arabe oublié. Le résultat est appréciable. Les sourires s‘élargissent. Nous marchons jusqu’à l’agence, où nous attend notre guide à tout faire. Il nous introduit auprès de son frère, qui apparemment dirige l’affaire. Il a une joue gonflée comme une montgolfière. Je me dis : « Il se paye un sacré abcès ! » En déambulant, je constate que de nombreux Yéménites souffrent du même mal. « C’est une épidémie, ou ils n’ont pas de dentiste ? » Mais non, me glisse Gilbert, qui se souvient qu’en Algérie les indigènes chiquent le tabac un peu de cette manière, sauf qu’ils maintiennent la boulette sous la lèvre inférieure. C’est le fameux khat, un stimulant aphrodisiaque hyper répandu dans la région, de Madagascar à Djibouti en passant par l’Erythrée et le Kenya. 


Il faut sortir de la monnaie locale, le rial. « Conduisez-nous à un ATM ! - Qu’est-ce que c’est que ça ?  Explication. - Mais la banque est fermée, c’est congé aujourd’hui ! » Re explication pour faire admettre que le distributeur doit être disponible 24 heures sur 24, même au Yémen. « Vous êtes sûrs ? »


Emplettes à Aden

L’agent-chauffeur, Ali pour les intimes, me refile quelques feuilles de khat à mâcher sur-le-champ. Je m’exécute. C’est dégueulasse mais il est content. Le distributeur est accessible mais ne crache que des dollars US. Il faut soit payer dans cette monnaie mais ça fait riche et on se fait empiler au change, soit changer chez un cambiste-fumiste où on se fait empiler de toute façon.


Nous faisons le plein de mazout auprès d’une station qu’il nous faut accoster par péniche interposée. Folklorique. Une armée d’Adeniens s’interpellent en hurlant, vocifèrent et gesticulent dans une désorganisation totale. Spectateurs amusés, il faut prendre ce mal en patience. L’opération terminée, je paye et me vois demander un bakchich par celui qui semblait diriger les opérations. Je refuse catégoriquement. Je réalise après coup que ce qu’ils appellent bakchich n’est ni plus ni moins que notre pourboire occidental. Je regrette de m’en être offusqué. Toujours ça d’économisé !


En regardant les mouvements incessants des boutres qui vont et viennent autour de Pamplemousse, je me demande lequel de ceux-là nous attaquera cette nuit. Nous reprenons la mer à heure préméditée : de façon à passer le BAB EL MANDED, le détroit de toutes les frayeurs, de nuit. C’est l’entrée de la mer Rouge, où le passage est le plus étroit entre le Yémen et Djibouti, facilitant ainsi les attaques des pirates.




... de toutes les frayeurs...

Nous nous collons au rail montant de façon à avoir sinon la protection, du moins la présence des nombreux cargos qui entrent en mer Rouge sur bâbord et à n’avoir qu’à surveiller ce qui arrive éventuellement sur tribord. Nous naviguons tous feux éteints. Interdiction d'allumer quoi que ce soit. Une serviette camoufle même la lueur du GPS.


De temps à autre, un cargo balance un coup de projecteur : cette tache visible uniquement sur son radar doit l’intriguer et peut-être l’inquiéter ! La zone est franchie sans dommage, sinon la pression intérieure, camouflée, qui se relâche après coup. 


Le vent se maintient très fort et nous permet des moyennes journalières appréciables. Jusqu’à Port-Soudan, c’est du portant. Après, c’est du près de plus en plus serré avec un vent qui frise dans ses sautes d’humeur les 30 nœuds et des vagues pyramidales. Pamplemousse n’aime pas ça ! Il se rebiffe et tire des bords carrés. La moyenne tombe plus vite qu’un para en chute libre. Le pire que nous ayons fait, 55 milles en vingt-quatre heures, dans un inconfort total dû à la gîte, la chaleur, la fatigue et l’impatience d’arriver. 


Port-Ghâlib, c’est pour bientôt, et la fin de cette grande étape aussi. 


13 décembre, 8 heures, nous abordons au pays des pharaons.


===OOO===


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire